L'industrie d'armement et la domination impérialiste25/11/20172017Cercle Léon Trotsky/medias/cltnumero/images/2017/11/151.jpg.484x700_q85_box-6%2C0%2C589%2C842_crop_detail.jpg

L'industrie d'armement et la domination impérialiste

Introduction

En France, l’industrie d’armement est un secteur clé de l’économie et bénéficie depuis longtemps de tous les appuis de l’État. Un nombre important de capitalistes tirent des bénéfices considérables de la production d’armes, une production au mieux parfaitement inutile, à vieillir dans les arsenaux, au pire semant la mort aux quatre coins de la planète. D’immenses fortunes bourgeoises se font et se consolident grâce aux guerres.

La bourgeoisie domine la planète non seulement par les lois du commerce et l’exploitation mais aussi par la puissance militaire. Depuis l’émergence de la bourgeoisie, son développement s’est appuyé sur le développement de l’armée, sur le développement du militarisme. Ce sont les guerres impérialistes qui ont façonné les rapports de force actuels et la hiérarchie entre les grandes puissances. Et c’est toujours en dernier recours la menace militaire qui fait régner l’ordre et la suprématie impérialistes dans le monde.

Après deux guerres mondiales au siècle passé, le monde continue aujourd’hui d’être à feu et à sang, englué dans de multiples conflits régionaux dans lesquels on trouve pratiquement toujours les puissances impérialistes comme pompiers pyromanes. Elles prétendent toujours agir pour la paix mais sèment la guerre partout dans le monde. Quand elles n’interviennent pas directement, elles arment et soutiennent des régimes à leur botte ou des rébellions face aux régimes qu’elles veulent affaiblir.

La puissance militaire d’un pays repose en grande partie sur la puissance de son industrie d’armement. Cela ne se limite pas à la production d’armes au sens strict mais aussi à toute la production qui fournit la logistique nécessaire au déploiement de la force militaire. Le système capitaliste produit des gâchis de toute sorte, mais le fait qu’il consacre une part aussi importante des forces productives à fabriquer des engins qui n’ont d’autre raison d’être que de semer la destruction et la mort est certainement le plus révoltant de ces gâchis.

Que des groupes humains se fassent la guerre n’est bien sûr pas une spécificité de la société capitaliste moderne. L’empire romain, avec son appétit insatiable de conquêtes, avait poussé l’organisation militaire à un haut niveau et mobilisé dans ce but une bonne partie des forces sociales. Au Moyen Âge, les seigneurs féodaux, qui passaient leur temps à guerroyer pour agrandir ou défendre leur fief, se préoccupaient bien sûr de leurs armures, de leurs épées et de leurs châteaux forts. Mais avec le développement du capitalisme, les productions intéressant les besoins militaires ont été portées à un niveau inégalé et monstrueux.

Les exploiteurs ont besoin de la production d’armes, de la police et de l’armée pour défendre leurs intérêts et maintenir les exploités à leur place et, de plus en plus, pour faire tourner leur système économique. Et pour cela l’État joue son rôle en garantissant lui-même la demande ou en devenant le VRP des marchands de mort.

Les capitalistes ont beau prôner la libre concurrence et le commerce sans entrave, c’est toujours l’État qui est le maître d’œuvre en matière de production d’armes, non seulement en remplissant le carnet de commandes des industriels mais, dans les périodes de fortes tensions internationales et surtout dans les guerres, en administrant plus ou moins directement l’ensemble du secteur de l’armement. Ce n’est pas avec la « main invisible » du marché ou l’initiative privée que les bourgeoisies ont réussi à organiser leur économie pendant les guerres mondiales que le 20e siècle a connues. Même aux États-Unis, c’est l’étatisme et non le marché qui a permis d’organiser l’effort de guerre.

On parle souvent de « béquille étatique » pour exprimer cette idée que le capitalisme n’arrive pas à marcher tout seul sans l’aide de l’État, ce qui n’empêche pas les bourgeois de se plaindre en permanence que l’État dépense trop ; en fait, ils considèrent que l’État dépense trop dès qu’il s’agit de dépenses utiles à la population, comme l’éducation, la santé, mais jamais lorsqu’il s’agit, selon leur expression, de « soutenir l’économie », traduisez : enrichir les capitalistes. Dans le secteur de l’armement, ce n’est pas seulement de soutien qu’il s’agit, c’est de gavage !

L’industrie d’armement, auxiliaire indispensable au développement de la bourgeoisie

Analyse marxiste du rôle de l’État

L’industrie d’armement étant étroitement liée à l’État, il est bon de rappeler comment nous, marxistes, analysons le rôle et la fonction de l’État. L’État n’est pas un arbitre au-dessus de la société ou le représentant de l’intérêt collectif, mais une institution politique liée à la structure de classes de la société et qui représente fondamentalement le pouvoir de la classe dominante.

Rappelons ce qu’en disait Engels dans L’Origine de la famille, de la propriété privée et de l’État : « L’État est un produit de la société à un stade déterminé de son développement. [...] L’État se caractérise par l’institution d’une force publique [...]. Cette force publique particulière est nécessaire, parce qu’une organisation armée autonome de la population est devenue impossible depuis la scission en classes... Cette force publique existe dans chaque État ; elle ne se compose pas seulement d’hommes armés, mais aussi d’annexes matérielles, de prisons et d’établissements pénitentiaires de toutes sortes, qu’ignorait la société gentilice. […] Mais elle se renforce à mesure que les contradictions de classes s’accentuent à l’intérieur de l’État et que les États limitrophes deviennent plus grands et plus peuplés ; – considérons [...] notre Europe actuelle, où la lutte des classes et la rivalité de conquêtes ont fait croître à tel point la force publique qu’elle menace de dévorer la société tout entière, et même l’État. »

À propos de la dissolution des sociétés primitives à l’aube de la civilisation, Engels précise : « La guerre et l’organisation pour la guerre sont maintenant devenues fonctions régulières de la vie du peuple. Les richesses des voisins excitent la cupidité des peuples auxquels l’acquisition des richesses semble déjà l’un des buts principaux de la vie. […] La guerre, autrefois pratiquée seulement pour se venger d’usurpations ou pour étendre un territoire devenu insuffisant, est maintenant pratiquée en vue du seul pillage et devient une branche permanente d’industrie. Ce n’est pas sans motif que les murailles menaçantes se dressent autour des nouvelles villes fortifiées. »

Ainsi, comme le dit Engels, le militarisme est devenu permanent depuis la division de la société en classes aux intérêts antagoniques. Ce que l’on appelle les fonctions régaliennes de l’État (du latin rex, le roi), ce sont ses fonctions fondamentales : armée, police, justice. Ce sont des corps spéciaux d’hommes armés chargés de maintenir l’ordre, défendre la propriété et censés garantir la sécurité des citoyens.

Pour garantir sa mission fondamentale, le maintien de l’ordre, c’est-à-dire la domination de la classe bourgeoise, la police et l’armée disposent de moyens toujours plus sophistiqués et onéreux. Il est illusoire de penser que l’État pourrait exister sans ces moyens militaires et policiers. Bien sûr, certains pays, même parmi les pays impérialistes, ont une armée très faible (Allemagne, Japon, les vaincus de 1945, bien que les choses soient en train de changer). Mais ils ne le peuvent que parce que d’autres se chargent du maintien de l’ordre dans le monde (États-Unis en tête). Croire que l’ensemble des États impérialistes pourraient être démilitarisés traduit une incompréhension de la nature de l’État et des rapports sociaux que cet État a pour mission de préserver.

Nous commencerons par un historique de cette course aux armements et de leur usage avant de décrire plus précisément l’industrie et le marché de l’armement aujourd’hui.

Les guerres commerciales du passé et l’avènement de la puissance commerciale de l’Angleterre grâce aux navires de guerre

On a coutume de citer un général allemand du 19e siècle, Carl von Clausewitz : « La guerre est la continuation de la politique par d’autres moyens », mais c’est aussi la continuation du commerce et de la politique économique des puissances qui sont en concurrence les unes avec les autres. C’est par la guerre que les États les plus puissants ont imposé leur domination, la guerre et une politique en matière d’armements.

Le développement du grand commerce international dès la découverte des Amériques s’est appuyé sur le développement de la marine de guerre ainsi que sur la piraterie. Les 16e et 17e siècles ont été marqués par les guerres commerciales entre l’Angleterre, l’Espagne, les Pays-Bas et la France, en mer des Caraïbes, dans l’Atlantique et l’océan Indien. Les galions espagnols qui revenaient des Amériques chargés d’or étaient fréquemment attaqués et pillés par les pirates anglais agissant pour le compte de la couronne (dont le fameux Francis Drake). Les Français ont fait de même contre les Espagnols et les Anglais, avec les corsaires de Saint-Malo : Duguay-Trouin ou Surcouf ; la ville de Saint-Malo, dont les fortifications furent aménagées par Vauban, était appelée le « nid de guêpes » par les Anglais.

En 1624, comprenant l’importance de la marine de guerre pour le contrôle des mers et la suprématie commerciale, Richelieu, Premier ministre de Louis XIII, fit développer les arsenaux afin de donner à la France une puissance maritime capable de rivaliser avec celle de la Grande-Bretagne. Cette volonté sera prolongée par Colbert, ministre de la Marine de Louis XIV. Mais cela ne suffit pas à détrôner la suprématie anglaise sur les mers.

La colonisation de l’Inde

C’est l’industrie d’armement et la puissance militaire qui permirent la domination de quelques pays européens sur le reste du monde. La colonisation de l’Inde, commencée dès le 16e siècle, vit s’affronter les principales puissances de l’époque : les Portugais installèrent des comptoirs sur la côte ouest, bientôt suivis par la Hollande, la Grande-Bretagne et la France. Celle-ci, arrivée bonne dernière dans la course, dut se contenter de quelques comptoirs, comme Pondichéry ou Chandernagor. Les Européens évincèrent les marchands indiens du commerce maritime avec l’étranger, ne développant un partenariat qu’avec les plus importants d’entre eux, qui servaient d’intermédiaires. La conquête de territoires se fit petit à petit. C’est la Grande-Bretagne qui s’imposa rapidement : dès le 18e siècle, elle régnait en maître sur tout le sud de l’Inde.

Pendant plusieurs décennies, en particulier celles de la fin du 18e siècle, la Compagnie anglaise des Indes orientales réalisa des fortunes dans le commerce des produits indiens, en particulier les épices, les cotonnades et les soieries. Elle imposa son monopole par la force de ses canons et le commerce se transforma vite en pillage pur et simple. La Compagnie obligeait les paysans et les tisserands à lui vendre la totalité de leur production, aux prix qu’elle fixait. Elle écrasait les villages d’impôts, qui allaient grossir la fortune de ses actionnaires.

La guerre de l’Opium

Un autre épisode significatif est celui de la guerre de l’Opium que l’Angleterre mena à la Chine en 1840 avec comme objectif principal d’obliger l’empereur chinois à ouvrir ses ports au commerce étranger, en particulier celui de l’opium, qui avait été interdit en Chine. À l’époque, la culture de l’opium se développait considérablement en Inde sous la direction de ce qu’on appelait l’Honorable Compagnie, c’est-à-dire toujours la Compagnie anglaise des Indes orientales.

Une escadre de 16 vaisseaux de ligne, 4 canonnières, 28 navires de transport, avec 540 canons et 4 000 hommes, alla bombarder les ports chinois. Les troupes britanniques, composées en partie de soldats indiens, massacrèrent, pillèrent et terrorisèrent toute une région maritime. Finalement l’empereur chinois céda.

Il accepta d’accorder à la Grande-Bretagne ce qu’elle demandait, c’est-à-dire une forte indemnité en dédommagement de l’opium saisi qui avait été détruit par un fonctionnaire chinois, et la cession de l’île de Hong-Kong (jusqu’en 1997). La Grande-Bretagne estima cependant qu’elle pouvait obtenir davantage. La guerre reprit, Shanghai fut pris et mis à sac, les Britanniques mirent le siège devant Nankin et l’empereur céda une nouvelle fois en acceptant que cinq ports, dont Canton et Shanghai, soient ouverts sans restriction au commerce britannique. De plus, les Anglais y auraient des concessions qui leur appartiendraient en propre. Tous les jugements concernant des sujets anglais en Chine seraient effectués uniquement devant des juridictions britanniques, le montant des droits de douane serait soumis à l’accord de la Grande-Bretagne et de toute façon ne pourrait dépasser 5 % de la valeur des marchandises. Le traité ne disait pas un mot sur le trafic de l’opium, cause de la guerre, mais bien entendu celui-ci se renforça et fit plus que doubler en vingt ans, largement financé par la banque HSBC.

L’État anglais et sa marine de guerre ont ouvert le marché chinois à la bourgeoisie anglaise. La morale de l’histoire, c’est que justement il n’y en a pas ; la politique de la canonnière a contribué à faire de l’Angleterre la première puissance économique du monde jusqu’à la guerre de 1914.

La Première Guerre mondiale et les profiteurs de guerre

Le 19e siècle aura été marqué par la vague du colonialisme qui a vu les grandes puissances se jeter sur le monde pour le dépecer et se le partager. La France n’a pas été en reste et a colonisé une grande partie de l’Afrique, de nombreuses îles. À la fin du siècle, le capitalisme entre dans une nouvelle phase appelée impérialisme. Dans L’impérialisme, stade suprême du capitalisme, Lénine résume ainsi la situation : « Le trait caractéristique de la période […], c’est le partage définitif du globe, définitif non en ce sens qu’un nouveau partage est impossible – de nouveaux partages étant au contraire possibles et inévitables – mais en ce sens que la politique coloniale des pays capitalistes en a terminé avec la conquête des territoires inoccupés de notre planète. Pour la première fois, le monde se trouve entièrement partagé, si bien qu’à l’avenir il pourra uniquement être question de nouveaux partages, c’est-à-dire du passage d’un "possesseur" à un autre, et non de la "prise de possession" de territoires sans maître. »

Dans la course aux conquêtes coloniales, les derniers arrivés, comme l’Allemagne, furent les moins bien servis. Les rivalités entre pays impérialistes conduisirent à la Première Guerre mondiale de 1914 à 1918. Dans toute l’Europe, soixante-dix millions d’hommes partirent comme soldats. Dix millions ne revinrent jamais.

Les guerres napoléoniennes avaient déjà été une boucherie mais, avec les nouvelles techniques, la tuerie est devenue industrielle. Le capitalisme n’a pas seulement développé les forces productives à un niveau inimaginable pour les siècles antérieurs, il a également développé en proportion les forces destructrices : armes automatiques, nouveaux canons (dont la fameuse grosse Bertha), débuts de l’aviation, premiers chars et autos blindées, navires cuirassés et sous-marins, sans oublier les gaz de combat : chlore, phosgène et ypérite (le gaz moutarde).

Ces gaz étaient la terreur des soldats qui mouraient dans d’atroces souffrances ou étaient blessés irrémédiablement. Initialement, c’est le chlore qui avait été utilisé, puis le phosgène car celui-ci, incolore et presque inodore, empoisonnait les soldats avant qu’ils mettent leur masque à gaz. Mais le plus redoutable était le gaz moutarde : après des cloques sur la peau et des vomissements, le gaz provoquait des hémorragies et détruisait les tissus pulmonaires. Cela causait des douleurs abominables aux soldats qui s’étouffaient à cause des liquides présents dans les bronches. Les malades gravement intoxiqués agonisaient pendant quatre ou cinq semaines.

La guerre ne fut pas une catastrophe pour tout le monde car il y eut les profiteurs de guerre. D’abord les marchands de canons évidemment, l’Allemand Krupp et le Français Schneider par exemple. La Première Guerre mondiale fit exploser leurs profits.

L’autre industrie qui gagna énormément dans la guerre, ce fut l’automobile, mais pas toujours en fabriquant des voitures. Toutes les grandes firmes automobiles surent obtenir de profitables marchés de l’État. En 1915, André Citroën décrochait un contrat pour un million d’obus. Pour les fabriquer, il obtint aussi de l’État une aide pour la construction d’une usine géante, quai de Javel à Paris. Un rapport établit que Citroën avait vendu ces obus deux fois plus cher que le prix du marché. Il ne fut jamais publié. Les aides de l’État lui permirent de moderniser et d’introduire le travail à la chaîne dans cette usine tournant principalement avec une main-d’œuvre féminine sous-payée. Berliet s’enrichit dans les camions ; Renault avec les tracteurs, les avions, les chars. Quant aux Peugeot, après avoir prospéré dans différents domaines, ils s’étaient lancés dans l’automobile avant la guerre. L’usine de Sochaux fut fondée en 1912 et produisait déjà 4 000 voitures en 1913. Pendant la guerre, la société Peugeot reçut 26 millions de francs de l’État pour fabriquer des moteurs d’avions de chasse, dont aucun ne fut jamais livré, mais cela lui permit d’agrandir ses installations.

Les usines Renault dans la guerre de 1914-1918

Production annuelle des usines Renault

1914

1918

Voitures

Camions

Chars d’assaut

Moteurs d’avions

Obus (75 et 155)

1 484

174

0

0

0

553

1 793

750

5 000

2 000 000

Superficie des usines

11,5 ha

34 ha

Effectifs (travailleurs)

dont les femmes (en % des effectifs)

6 300

3,8 %

22 500

31,6 %

Bénéfices (indice)

Chiffre d’affaires (indice)

100

100

366

170

 

Dans la chimie, Péchiney fut un des premiers à se consacrer à la production de guerre et à profiter des aides de l’État. Le ministère de l’Armement construisit et équipa à son profit une usine de production de chlore à Saint-Auban, dans la vallée de la Durance. Il faut dire que, jusqu’en 1914, les Allemands avaient un quasi-monopole sur la production de chlore. Les trusts BASF, Bayer et Agfa s’étaient associés pour former le conglomérat IG Farben. Ils développèrent des méthodes pour répandre le chlore dans les tranchées adverses. Les mêmes s’enrichiront plus tard avec le Zyklon B, gaz utilisé pour l’extermination des juifs.

C’est aussi grâce à la guerre que se forgea l’empire Boussac. Marcel Boussac, né en 1889 dans une famille de négociants en tissus, fut mobilisé en 1914 mais trouva immédiatement le moyen de ne pas aller au front et mit la main sur des usines dans les Vosges. Entre 1914 et 1918, il vendit pour 75 millions de francs de fournitures à l’armée : chemises, caleçons, étuis de masques à gaz. La guerre fit sa fortune.

Les profits dégagés pendant la guerre furent faramineux. Pendant que les rentiers, les bourgeois moyens ou petits se retrouvaient ruinés, la haute bourgeoisie, elle, en sortit renforcée et enrichie. Les grandes familles bourgeoises prospérèrent au cœur même des États et grâce à leurs commandes : en France, il faut ajouter aussi Michelin, en Allemagne Thyssen, aux États-Unis Ford, Rockefeller, Morgan et tant d’autres.

Ascension militaire des États-Unis

Aujourd’hui, la première puissance économique et militaire du monde, et de loin, sont les États-Unis. Les États-Unis étaient devenus, après la guerre civile américaine (guerre de Sécession, 1861-1865), une grande nation bourgeoise et une puissance commerciale de premier plan. Mais leur domination s’est affirmée avec la Première Guerre mondiale. Et leur puissance industrielle, mise au service de la guerre, a joué dans cette émergence un rôle prépondérant.

Les Américains ont laissé les belligérants européens s’épuiser dans la première partie de la guerre mais voulaient avoir leur mot à dire sur le règlement du conflit et ne voulaient surtout pas qu’une nation européenne domine les autres ; elle aurait été pour eux un concurrent trop puissant. Ils décidèrent d’entrer en guerre en avril 1917 mais, à ce moment-là, leur armée n’était pas encore suffisamment équipée et manquait de stocks. Le gouvernement créa des agences fédérales pour mobiliser l’économie en vue de la production de guerre. Formellement, il ne s’agissait pas de nationalisation mais d’un système de contrôle et de réglementation qui donnait au gouvernement le pouvoir d’administrer l’économie, sans laisser les lois du marché jouer librement. Pour coordonner les achats, il créa le War Industries Board (WIB) le 28 juin 1917.

Comme cela ne suffisait pas encore pour obtenir une véritable mobilisation industrielle, le président des États-Unis, Wilson, demanda, en janvier 1918, des pouvoirs étendus pour renforcer les organismes gouvernementaux chargés des questions relatives à la guerre. Le président du WIB, agissant en vertu de pouvoirs spéciaux, obtint une autorité absolue pour répartir les matières premières entre les industries, déterminer les priorités en matière de production, de distribution et de transports, fixer les prix des produits qu’il achetait, standardiser les produits, développer au maximum l’économie de guerre et réquisitionner, en cas de nécessité, des usines. Il devint une sorte de dictateur économique des États-Unis. Bref, dans un pays qui est le chantre de la libre entreprise et où toute intervention de l’État fait hurler au socialisme, il a fallu la baguette étatique pour organiser l’ensemble de l’économie dans un but de guerre. La même situation se reproduira de manière encore plus impérieuse pendant la Deuxième Guerre mondiale.

L’armée américaine, qui n’avait que 300 camions en avril 1917, en possédait 85 000 fin 1918. Par contre, en matière d’armements ou de transport maritime, les États-Unis étaient encore dans une certaine dépendance par rapport au Royaume-Uni ou à la France. C’est la Deuxième Guerre mondiale qui leur assurera la suprématie dans ces domaines.

Le Japon, nouvelle puissance impérialiste grâce à l’État et à l’industrie d’armement

L’État japonais comprit, à la fin du 19e siècle, que les colonisateurs anglais ou néerlandais qui avaient ouvert, à la canonnière, leurs marchés en Inde, en Chine, en Indonésie, ne feraient, avec leurs navires de guerre impressionnants, qu’une bouchée du Japon arriéré. L’État japonais, sous le règne de l’empereur Meiji, décida de créer au forceps une industrie militaire et navale, de liquider le pouvoir du Shogun, le chef militaire traditionnel, et celui de la caste des samouraïs, pour entrer dans l’ère moderne. La jeune bourgeoisie japonaise avait besoin de son État pour qu’en quelques décennies le Japon développe une industrie navale, devienne un pays impérialiste, et s’attaque militairement à ses voisins afin de ne pas laisser les Européens prendre tout. En septembre 1931, l’armée japonaise envahit la Mandchourie, région de la Chine du Nord que l’impérialisme occidental avait laissée de côté.

Mais le Japon n’entendait pas se limiter à la Chine du Nord. Les dirigeants japonais se préparaient alors à utiliser la force pour s’ouvrir en grand le marché chinois, imitant ce qu’avaient fait les Anglais un siècle plus tôt. La Chine était cependant un gros morceau, d’autant plus gros que les intérêts impérialistes européens et américains étaient directement dans la place. C’est pourquoi le Japon était à la recherche d’alliés en Europe, et il trouva l’Allemagne nazie. Il s’engagea dans le deuxième conflit mondial aux côtés de l’Allemagne, dans le but de repartager les colonies et d’affaiblir les pays impérialistes européens, ses principaux concurrents dans l’Asie du Sud-Est.

Deuxième Guerre mondiale

Les troupes japonaises déclenchèrent l’offensive en Chine dès 1937 mais, en Europe, la Deuxième Guerre mondiale ne commença qu’en septembre 1939.

Dès mai 1940, à une époque où les États-Unis n’étaient pas encore en guerre, Trotsky écrivait : « Une victoire potentielle de l’Allemagne sur les Alliés serait suspendue comme un cauchemar sur Washington. En possession du continent européen et des ressources des colonies de ce dernier comme base d’action, ayant à sa disposition les usines d’armements et les arsenaux européens, l’Allemagne, surtout si elle agissait en accord avec le Japon en Orient, constituerait un danger mortel pour l’impérialisme américain. »

En 1941, les armées allemandes dominaient l’Europe, du cap Nord à la Grèce et du Finistère à Brest-Litovsk. C’était une situation de moins en moins tolérable pour l’impérialisme américain. Au printemps 1941, les dirigeants américains prirent une décision importante : la loi dite « prêt bail » d’aide économique à la Grande-Bretagne (la seule puissance encore en guerre contre l’armée allemande depuis juin 1940), qui avait des besoins de plus en plus massifs et qui n’avait plus les moyens de payer. Désormais, tout le potentiel économique du plus puissant des impérialismes allait être mis en route pour combattre le camp allemand. À la fin de l’année 1941, la production militaire américaine avait doublé par rapport à 1939.

Le pouvoir fédéral américain était conscient de l’inéluctabilité d’un engagement militaire mais la population y était majoritairement hostile. L’attaque japonaise de Pearl Harbor fournit le prétexte pour l’entrée en guerre des États-Unis. La supériorité militaire des Américains était liée à celle de leur industrie d’armement qui tournait à plein régime : ils étaient capables de produire plus d’armes que l’ennemi n’était capable d’en détruire.

Lors de son plus haut niveau de production, l’industrie de guerre aéronautique américaine construisait chaque mois 800 bombardiers Boeing B-29 Superfortress, l’avion le plus avancé de la guerre (vol à haute altitude, pressurisation de la cabine).

L’avènement du nucléaire donne une autre dimension à l’industrie d’armement

Le projet Manhattan, pour la mise au point d’une bombe atomique (la bombe A), employait à lui seul plus de 130 000 personnes, avec un budget de 2 milliards de dollars.

Les États-Unis avaient repoussé la capitulation que le Japon leur proposait car ils tenaient à faire la démonstration, à l’intention de tous les peuples du monde, que l’impérialisme américain possédait une arme nouvelle, terrifiante, et qu’il n’hésitait pas à s’en servir contre les civils. Il s’agissait à la fois de terroriser la population japonaise, car l’effondrement du régime japonais pouvait conduire à un vide politique dangereux, et d’imposer leur leadership face à l’URSS en vue de l’après-guerre.

Le 6 août 1945, un bombardier américain largua une première bombe atomique sur Hiroshima. Le 9 août, une seconde bombe atomique fut lâchée sur Nagasaki. Les deux villes furent anéanties en une fraction de seconde ; il y eut entre 150 000 et 250 000 morts.

Selon un article d’Hélène Guillemot, paru dans la revue Sciences & Vie : « Cette première bombe atomique, que les Américains baptisèrent Little Boy (petit garçon), a recréé les conditions qui règnent à l’intérieur du soleil. Mais ce fut un soleil de mort. À Hiroshima, dès le premier millionième de seconde, l’énergie thermique fut transportée, dans un flash de lumière blanche éblouissante, par des rayons X qui transformèrent l’air en une boule de feu – d’environ un kilomètre de rayon et de plusieurs millions de degrés – planant quelques secondes sur la ville, et par une onde thermique qui se propagea à la vitesse de la lumière, brûlant tout sur son passage.

Au sol, la température atteignit plusieurs milliers de degrés sous le point d’impact ; dans un rayon d’un kilomètre, tout fut instantanément vaporisé et réduit en cendres. Jusqu’à quatre kilomètres de l’épicentre, bâtiments et humains prirent feu spontanément. L’onde de choc, accompagnée de vents d’une violence inouïe, qui projetaient les débris et entretenaient des tempêtes de feu, réduisit tout en poussière dans un rayon de deux kilomètres. Sur les 90 000 bâtiments de la ville, 62 000 furent entièrement détruits. Le troisième effet de l’explosion nucléaire, le plus spécifique mais pas le moins meurtrier, est le rayonnement radioactif. Ce rayonnement est d’autant plus terrifiant que ses effets (cancers, leucémies...) ne sont apparus que des jours, des mois, voire des années après l’explosion. »

Guerre froide

En 1949, l’URSS mit elle aussi au point sa première bombe nucléaire. En 1952, les États-Unis passèrent de la bombe A à la bombe thermonucléaire (bombe H ou bombe à hydrogène), mille fois plus puissante que la bombe A, mille fois Hiroshima. En 1953, les Russes eurent aussi la leur. Et la course aux armements s’emballa avec la guerre froide. Guerre qui n’a pas toujours été froide d’ailleurs (comme en Corée ou au Vietnam). Les risques de troisième guerre mondiale étaient alors dans toutes les têtes.

Début 1961, dans son discours de fin de mandat, le président américain Eisenhower utilisa le premier l’expression « complexe militaro-industriel », pour alerter sur son poids devenu gigantesque et qu’Eisenhower présenta comme une menace pour la liberté et la démocratie (si c’est lui qui le dit !).

C’est sous la pression de ce complexe militaro-industriel que, dès la campagne présidentielle de 1960, le candidat démocrate Kennedy popularisa l’expression « missile gap » pour évoquer un retard des États-Unis face à l’URSS en ce qui concerne les missiles ICBM (missiles balistiques à longue portée capables d’atteindre plusieurs cibles différentes à plus de 5 000 km). On apprendra plus tard que ce retard supposé était dû à une surestimation délibérée des capacités soviétiques par les services américains, et que l’URSS était en fait derrière les États-Unis sur cette question.

Il est vrai que le lancement réussi du Spoutnik, premier satellite artificiel, et les vantardises de Khrouchtchev sur la production de missiles « comme des saucisses », pouvaient accréditer les mensonges américains. Ce type de gros mensonge d’État se retrouvera plus tard dans la campagne concernant les prétendues « armes de destruction massives » de Saddam Hussein pour justifier la deuxième guerre du Golfe en 2003.

Il faut cependant souligner que pour rattraper l’URSS, économie étatisée où ce n’était pas le marché qui faisait la loi, les États-Unis ont encore eu besoin de créer une agence gouvernementale, la NASA, pour piloter le secteur des industries spatiales, la libre concurrence étant bien incapable de rivaliser avec la coordination et la cohérence que donnent les moyens étatiques.

De Gaulle et les essais nucléaires français

Pour ce qui est de la France, en 1958, de Gaulle, porte-parole acharné du petit impérialisme français, lança également le programme nucléaire militaire français et amorça la création de son complexe militaro-industriel. La France a eu sa bombe atomique en 1966 et de Gaulle, défenseur d’une prétendue indépendance de la France, crânement, quitta le commandement intégré de l’OTAN, organisation militaire créée autour des États-Unis.

Lors des 210 essais nucléaires français, plusieurs milliers de personnes ont été irradiées en Polynésie, ou dans le Sahara, mais il a fallu aux victimes beaucoup d’acharnement pour faire reconnaître leurs maladies comme liées aux essais et pour obtenir des indemnisations. La levée du secret-défense sur une partie des documents en 2013 a montré que l’armée était parfaitement informée, dès le début, des risques pour la santé des habitants, mais qu’elle n’a mis en place aucune mesure préventive, ni un suivi sanitaire de la population.

En fait elle a même eu une stratégie délibérée pour empêcher l’accès aux données sanitaires. Ainsi, presque tous les chefs de service de l’hôpital civil de Tahiti étaient des militaires qui ne laissaient filtrer aucune information sur les décès ou les maladies traitées. Jusqu’à aujourd’hui, ces données ne sont toujours pas accessibles. Les médecins civils qui ont depuis fait quelques enquêtes ont observé un nombre absolument élevé de fausses couches, d’enfants morts en bas âge ou de graves malformations congénitales : hydrocéphalie, mongolisme, asymétrie faciale, etc. Une institutrice a noté dans ses cahiers que beaucoup de ses élèves perdaient leurs cheveux. Le 6 novembre 1993, après la diffusion d’un documentaire sur Arte, Mururoa, le grand secret, au cours du débat organisé par la chaîne, le général Roger Ducousso, pharmacien des armées, a osé déclarer que la radioactivité à Tahiti était moitié moindre qu’en Alsace. Un certain nombre de parlementaires émirent des protestations indignées contre la chaîne Arte et toutes les demandes d’enquête parlementaire sur les essais nucléaires ont été rejetées.

Course aux armements et guerre des étoiles

Malgré différents traités internationaux signés dans les années 1970 (SALT I puis SALT II) visant la non-prolifération nucléaire et une limitation des armements entre les deux grands, la course folle aux armements n’a jamais vraiment cessé.

Cette course reprit de plus belle avec l’arrivée au pouvoir de Reagan, en 1981, qui lança l’Initiative de défense stratégique (IDS) ou « guerre des étoiles ». De façon ironique, son programme qui se voulait libéral du point de vue économique (c’est-à-dire avec une intervention moindre de l’État) s’accompagnait en fait d’énormes contrats et subventions accordés aux firmes du complexe militaro-industriel.

Abandonné en 1993 par Bill Clinton, le programme IDS trouva un successeur dans le programme National Missile Defense (ou bouclier antimissile) lancé par George W. Bush alors que les États-Unis s’engagèrent en Irak et en Afghanistan. D’un coût exorbitant, ces grands programmes ont essentiellement bénéficié aux géants américains du secteur car, sur le plan strictement militaire, ils n’ont servi à rien.

Malgré la fin de l’URSS, la course folle et de plus en plus coûteuse aux armements a donc continué. Mais, en dépit de leur supériorité militaire, toutes les guerres menées par les États-Unis se sont terminées en fiasco : au Vietnam, en Afghanistan, en Irak, en Lybie, ils n’ont réussi qu’à semer le chaos.

Les nouvelles technologies et la supériorité écrasante des États-Unis

Un autre secteur qui touche étroitement à la politique militaire des États est celui du renseignement. Les révélations d’Edward Snowden en 2013, puis de Wikileaks en 2015, ont montré l’ampleur de la surveillance des communications que les États-Unis pratiquent vis-à-vis du grand public et même vis-à-vis des dirigeants de pays alliés. On a ainsi appris que les téléphones portables de Hollande, Merkel ou Dilma Roussef (ex-présidente du Brésil) avaient été espionnés par la NSA (National Security Agency), ainsi que ceux de Sarkozy ou Chirac et de hauts responsables japonais, dont le directeur de la banque centrale. En fait, dès 1975, le directeur de la NSA avait reconnu que « la NSA [interceptait] systématiquement les communications internationales, les appels téléphoniques comme les messages câblés », dont « des messages adressés à des citoyens américains ou émanant d’eux » et ceci en violation du quatrième amendement de la Constitution des États-Unis qui interdit d’espionner un citoyen américain sans mandat. Comme quoi, les lois ne sont que des chiffons de papier. Les responsables de la bourgeoisie savent très bien que les grands intérêts politiques et économiques sont au-dessus des lois.

La cybersécurité, qui frise parfois la cyberguerre, est un secteur en plein boom ! Les États-Unis auraient réussi à saboter en 2010 une centrifugeuse iranienne utilisée pour l’enrichissement d’uranium, grâce à un virus informatique appelé Stuxnet.

Les États-Unis ne sont évidemment pas les seuls à développer ou utiliser les technologies informatiques ou les télécommunications dans un but militaire ou policier, mais ce sont eux qui disposent en la matière d’une supériorité écrasante. D’une part, parce que les principales sociétés de l’Internet, Google, Amazon, Facebook, sont américaines, de même qu’Apple ou Microsoft : ainsi la NSA dispose de moyens de pression pour les obliger à collaborer ; d’autre part, parce que les États-Unis consacrent à cet espionnage des moyens colossaux, sans commune mesure avec ceux des autres pays.

Les nouvelles technologies ne s’arrêtent pas à la surveillance ou au sabotage électroniques. Les drones, qui peuvent par ailleurs remplir de nombreuses fonctions utiles, sont surtout utilisés et développés dans un but militaire. Le Predator peut porter plus de 350 kg de munitions et le Reaper (la faucheuse) jusqu’à une tonne. Les États-Unis forment aujourd’hui davantage de pilotes de drones que de pilotes de chasse embarqués. Des chercheurs travaillent même au développement de robots-tueurs autonomes.

Les attaques de drones, menées essentiellement par les États-Unis, ont déjà fait plusieurs milliers de morts parmi les populations civiles au Pakistan, en Afghanistan, au Yémen, ou en Somalie. Officiellement il s’agit d’assassinats ciblés, mais le journal The Guardian donnait par exemple en novembre 2014 le chiffre de 1 147 personnes tuées pour seulement 41 cibles au Pakistan. Devant les réactions indignées, l’ancien chef de la CIA au Pakistan avouait cependant qu’avec ces attaques : « Nous créons plus d’ennemis que nous n’en supprimons du champ de bataille. »

Bien sûr tous les États ont leurs services secrets chargés des coups tordus : le Mossad pour Israël, le MI6 pour le Royaume-Uni, la DGSE pour la France et surtout la CIA pour les États-Unis. Cette dernière emploie plus de 20 000 personnes et on peut mettre à son actif : le renversement du président iranien Mossadegh en 1953, le coup d’État contre le président du Guatemala Guzman en 1954, le coup d’État contre Patrice Lumumba, Premier ministre du Congo, en 1960, l’aide au renversement du président du Brésil João Goulart en 1964, le soutien à l’armée indonésienne pour le renversement du président Soekarno à Djakarta en 1965, suivi de l’élimination physique du Parti communiste indonésien (450 000 morts), le coup d’État contre Norodom Sihanouk, roi du Cambodge, en 1969, la collaboration avec le général Pinochet pour le renversement de Salvador Allende, président du Chili, en 1973. Elle échoua néanmoins à renverser Fidel Castro, malgré un débarquement militaire à Cuba, dans la baie des Cochons, organisé par la CIA en avril 1961.

Les États-Unis possèdent aujourd’hui 11 porte-avions, plus de 50 sous-marins nucléaires, environ 800 bases militaires dans le monde, en dehors de leur territoire, soit 95 % des bases militaires extraterritoriales. Les militaires américains sont présents dans plus de 160 pays et leur présence ne cesse d’augmenter. Ils ont par exemple près de 40 000 soldats en Allemagne et 50 000 au Japon.

L’arme nucléaire réservée aux « grands »

Alors, quand on nous présente la Corée du Nord comme une menace pour la paix et la sécurité dans le monde, il faut regarder les choses avec leurs justes proportions. Le 18 septembre dernier, des bombardiers américains ont survolé les côtes nord-coréennes et le lendemain à l’ONU, le président Trump déclarait qu’il était prêt à la destruction totale de ce pays de 25 millions d’habitants. Par ses déclarations et son attitude, il incarne parfaitement l’arrogance de la puissance impérialiste dont il est le représentant, sans utiliser le langage bienséant et hypocrite habituel.

Comme cela a été le cas pour l’Iran, les grandes puissances veulent empêcher la Corée du Nord de se doter de l’arme nucléaire. En 1970, les cinq pays détenteurs de l’arme nucléaire (et membres permanents du Conseil de Sécurité de l’ONU), États-Unis, URSS, Royaume-Uni, France et Chine, ont mis en place le traité de non-prolifération nucléaire (TNP) pour se réserver l’exclusivité des armes nucléaires. Sous la pression, de nombreux pays l’ont signé et, en contrepartie, les cinq grands se sont engagés... à ne pas attaquer avec leurs armes atomiques des pays signataires du TNP qui n’en seraient pas dotés. La Corée du Nord s’est retirée de ce TNP bidon en 2003, mais surtout Israël, l’Inde et le Pakistan ne l’ont pas signé et ont développé un programme nucléaire militaire.

Pour l’Inde, il y eut protestations, pressions internationales et embargo après des essais nucléaires en 1998, mais absolument pas pour Israël, représentant, fidèle parmi les fidèles, de l’impérialisme américain au Moyen-Orient. Israël n’a jamais voulu reconnaître son programme nucléaire militaire et a même fait condamner à 18 ans de prison, pour espionnage et trahison, Mordechai Vanunu, un ancien technicien d’une centrale nucléaire grâce auquel la presse britannique a révélé l’existence de ce programme en 1986.

Un bilan macabre

Depuis la Deuxième Guerre mondiale, le monde n’a pas connu un seul jour sans guerre. Faisons un rapide et macabre bilan où nous ne citerons que les guerres menées directement ou avec la complicité d’un pays impérialiste : Indochine (1946-1954), 400 000 morts ; Corée (1950-1953), 2 millions de morts ; Vietnam (1955-1975), 2 millions de morts ; Algérie (1954-1962), au moins 300 000 morts ; Angola (1961-1975 puis 1975-2002), 500 000 morts ; guerre des Six-Jours (1967), 20 000 morts ; guerre du Biafra (1967-1970), entre un et deux millions de morts ; Cambodge (1970-1975), 300 000 morts ; Iran-Irak (1980-1988) entre 500 000 et un million de morts ; Nicaragua (1985-1988), 30 000 morts ; guerre du Golfe (1990-1991) 25 000 morts ; Rwanda (1994), 900 000 morts ; deuxième guerre du Congo (1998-2003), entre 180 000 et 3 millions de morts ; guerre d’Irak (2003-2011), 40 000 morts ; guerres d’Afgha­nistan (depuis 1979), plus de 150 000 morts. Enfin, dans bien d’autres conflits locaux, les puissances impérialistes jouent un rôle actif ne serait-ce qu’en fournissant des armes aux bandes rivales, comme en ce moment au Kivu, une région de l’est de la République démocratique du Congo.

Revenons brièvement sur deux conflits parmi les plus meurtriers. Au Vietnam, les Américains ont largué 7 millions de tonnes de bombes, plus du double de toute la masse des bombes larguées par tous les Alliés pendant la Deuxième Guerre mondiale. Ils ont très largement mené une guerre chimique. Avec le napalm, qui est de l’essence gélifiée très collante, utilisée dans des bombes incendiaires, faite pour coller à la peau et brûler les tissus jusqu’à l’os, et avec l’agent orange, un défoliant contenant de la dioxine, fabriqué pour l’armée américaine par Monsanto et Dow Chemical, qui a été déversé en quantité sur les forêts vietnamiennes. Il a détruit forêts et récoltes et intoxiqué mortellement les soldats du Vietcong comme les civils, il a durablement contaminé les sols, au point qu’aujourd’hui encore nombre d’enfants vietnamiens naissent avec des malformations.

Au Nigeria, l’impérialisme français a encouragé une des régions à faire sécession : le Biafra, situé au Nord-Est, autour du delta du Niger. Il l’a soutenu et armé, dans une guerre atroce. Pourquoi ? Situé en Afrique de l’Ouest au contact de l’ancien empire colonial français, le Nigeria, ancienne colonie britannique devenue indépendante en 1960, était resté sous influence anglaise. C’est le pays le plus peuplé d’Afrique (septième pays du monde) et de Gaulle craignait le poids du géant nigérian sur les États africains voisins sous influence française. Son émissaire en Afrique, Jacques Foccart raconte : « De mon point de vue, le Nigeria était un pays démesuré par rapport à ceux que nous connaissions bien et qui faisait planer sur ceux-ci une ombre inquiétante » et il reconnaîtra que l’argent pour alimenter cette guerre venait des caisses de l’État français. Chaque jour, des dizaines de tonnes d’armes et de matériel militaire étaient acheminées vers le Biafra par des mercenaires et des hommes du SDECE (ancêtre de la DGSE). C’est l’ambassadeur de France au Gabon qui coordonnait les opérations. Signalons enfin que la guerre civile au Rwanda avec son génocide des Tutsis a également eu pour toile de fond la rivalité franco-britannique pour le contrôle d’une partie de l’Afrique.

En s’appuyant sur leur industrie d’armement, les grandes puissances ont ainsi transformé le monde en un champ de rivalités et de guerres permanentes.

Les industries d’armement aujourd’hui

L’impérialisme et la concentration de la production

Le secteur de l’armement est un concentré des caractéristiques du capitalisme au stade pourrissant de l’impérialisme : concentration du capital, constitution de monopoles, exportation de capitaux, partage du monde. Il est dominé par des trusts multinationaux adossés aux États et en tout premier lieu aux États impérialistes. Au sujet de la formation des trusts et la concentration du capital, voici ce qu’écrivait Lénine dans l’ouvrage déjà cité, L’impérialisme, stade suprême du capitalisme :

« Le développement intense de l’industrie et le processus de concentration extrêmement rapide de la production dans des entreprises toujours plus importantes constituent une des caractéristiques les plus marquées du capitalisme. […] La concurrence se transforme en monopole. Il en résulte un progrès immense de la socialisation de la production. Et, notamment, dans le domaine des perfectionnements et des inventions techniques.

Le monopole accapare la main-d’œuvre spécialisée, les meilleurs ingénieurs ; le capitalisme arrivé à son stade impérialiste conduit aux portes de la socialisation intégrale de la production. […] La production devient sociale, mais l’appropriation reste privée. Les moyens de production sociaux restent la propriété privée d’un petit nombre d’individus. Le cadre général de la libre concurrence nominalement reconnue subsiste, et le joug exercé par une poignée de monopolistes sur le reste de la population devient cent fois plus lourd, plus tangible, plus intolérable. »

Signalons aussi que le secteur de l’armement vit aux crochets de l’État qui remplit généreusement le carnet de commande des capitalistes du secteur.

Marché mondial de l’armement

Les pays qui produisent le plus d’armes dans le monde sont les États-Unis, la Russie, la France, le Royaume Uni, l’Allemagne et la Chine. Les dépenses militaires mondiales représentent de l’ordre de 1 700 milliards de dollars par an, soit plus de 220 dollars par habitant. Les États-Unis sont largement en tête avec un tiers du total. La France n’est cependant pas en reste avec un budget de la défense de 51 milliards de dollars en 2015, soit plus de 750 dollars par habitant ; elle est le troisième exportateur d’armes au monde.

Les dépenses militaires dans le monde ont augmenté d’un tiers en dix ans. Même si les pays impérialistes exportent beaucoup, une grosse partie des dépenses d’armement correspond à des achats des États aux firmes nationales. Les États achètent eux-mêmes les armes produites par les industriels nationaux, leur faisant cadeau au passage d’un marché protégé extrêmement lucratif.

Lockheed Martin est la première entreprise américaine et mondiale de défense et de sécurité ; c’est le fabriquant des avions de combat de l’armée américaine, dont le F-16. D’importantes restructurations et concentrations ont eu lieu dans les années 1990. Le numéro 2 mondial est aujourd’hui Boeing, après avoir acquis, en août 1996, les activités spatiales et de défense de Rockwell International pour 3,2 milliards de dollars. Rockwell était notamment le fabricant des sept navettes spatiales américaines, dont Discovery et Challenger. Dans la foulée, en août 1997, Boeing a racheté McDonnell Douglas, ex-numéro 2 mondial derrière Lockheed Martin, pour 13 milliards de dollars. Citons encore Northrop Grumman (sixième mondial), un conglomérat américain né de la fusion entre Northrop et Grumman en 1994. Il emploie plus de 125 000 salariés (en 2004), répartis sur des centaines de sites à travers 25 pays. En Europe, c’est d’abord l’Anglais Bae Systems qui tient la palme (c’est le troisième mondial) puis Airbus dont les activités militaires en font la septième entreprise d’armement.

Les restructurations du secteur de l’armement en France

En France, c’est la DGA (direction générale de l’armement), composée d’ingénieurs à statut militaire, qui pilote le secteur industriel de la défense en équipant les forces armées et en assurant la promotion des exportations de l’industrie de défense. Les liens organiques entre la DGA et les entreprises de défense permettent de parler de complexe militaro-industriel.

Lorsque la DGA est mise en place en 1961, d’abord sous le nom de Délégation ministérielle pour l’armement, elle est le fruit de la politique de De Gaulle et en particulier de sa volonté de se doter de l’arme nucléaire. Pour de Gaulle, « l’indépendance de la France » a besoin d’une industrie militaire forte et, à l’exemple des États-Unis, il sait que les moyens de l’État sont nécessaires.

C’est donc sous l’impulsion de la DGA que, au cours des années 1960 et 1970, l’industrie de défense va se concentrer et se spécialiser autour de quelques champions nationaux qui disposent pourtant de structures et de statuts très différents : des établissements d’État comme le Giat (Groupement industriel des armements terrestres) crée en 1971 ou les arsenaux de la DCAN (Direction des constructions et armes navales), des entreprises publiques dans lesquelles l’État détient une part de capital plus ou moins importante, comme Thomson CSF, ou des sociétés privées, comme Dassault Aviation ou Matra.

Dans les années 1990, on a assisté à un nouveau phénomène de concentration-restructuration. Il s’est passé dans l’industrie d’armement la même chose que dans les télécoms, l’énergie, etc. : une fois bien nourries au biberon de l’État, ces entreprises sont devenues rentables et ont pu être privatisées. Elles ont cherché à conquérir des marchés à l’étranger selon les mêmes critères capitalistes que l’on trouve dans tous les secteurs. Les restructurations se poursuivent encore aujourd’hui, avec de nombreuses fusions et transferts de filiales, dans le but de créer des mastodontes français ou européens dans un secteur devenu très concurrentiel sur le marché international.

Aujourd’hui, le complexe militaro-industriel français est principalement composé de Nexter (ex-Giat) et Renault Trucks Defense pour le terrestre, Airbus, Safran et Dassault pour l’aéronautique, Thales et Safran pour l’électronique, Naval Group (ex-DCNS) pour le naval, MBDA pour la fabrication de missiles.

En 2006, Giat Industries a regroupé son cœur de métier sous le nom de Nexter, après un vaste plan de restructuration qui a ramené ses effectifs à moins de 3 500 salariés contre 6 000 en 2003 et plus de 18 000 au début des années 1990. Les sites de Saint-Étienne, de Saint-Chamond et de Tarbes ont été quasi entièrement abandonnés, ce qui entraîna des pertes d’emplois massives dans les années 1990 et 2000. Nexter a produit entre autres le fusil d’assaut Famas, le char AMX30, le char Leclerc.

Fin 2013, Nexter a racheté 100 % des titres du groupe SNPE (Société nationale des poudres et explosifs), mais l’État était encore le seul actionnaire de l’ensemble. En juillet 2015, Nexter fusionne avec l’armurier allemand Krauss-Maffei Wegmann (KMW), pour créer un nouvel ensemble de 6 000 employés et 1,7 milliard d’euros de chiffre d’affaires, contrôlé à 50 % par l’État français et à 50 % par la famille Bode-Wegmann. La nouvelle société, baptisée KNDS, est devenue le leader européen des blindés et a établi son siège... aux Pays-Bas (un paradis fiscal au cœur de l’Europe, comme viennent de le montrer les Paradise Papers).

Pour ce qui est de la marine, on a assisté à un phénomène identique : l’ancienne DCAN est devenue la DCN en 1991, avec comme objectif de promouvoir ses activités sur le marché international et faciliter l’exportation de ses productions. Cette stratégie de développement s’est traduite par la signature de plusieurs contrats majeurs. Comme l’affaire est devenue rentable, l’État décide en 2001 de transformer la DCN en société anonyme de droit privée : la DCNS qui, après le transfert de la branche navale de Thales en 2007, est détenue à hauteur de 62 % par l’État français et de 35 % par Thales (dont Dassault est l’actionnaire principal). Et depuis juin dernier le nom a encore changé pour devenir maintenant Naval Group.

Parlons des missiles : MBDA, deuxième entreprise mondiale de missiles, est aujourd’hui une filiale commune d’Airbus Group, de BAE Systems et de Leonardo (entreprise italienne, anciennement Finmeccanica, neuvième entreprise mondiale d’armement). La constitution de MBDA remonte à 2001 et résulte d’une volonté de créer un fabricant de missiles européen ; on parlait à sa création de l’ Airbus des missiles. 2015 a été une année record pour l’entreprise, avec ses 5,2 milliards d’euros de commandes, soit 27 % d’augmentation sur un an. Le marché de la mort se porte bien ! Un des produits phares du groupe, le missile Exocet (initialement développé par la branche missiles d’Aérospatiale, l’ancêtre d’Airbus), a été vendu à près de 4 000 exemplaires et a été utilisé notamment dans la guerre des Malouines et la guerre Iran-Irak. 4 000 missiles, cela équivaut au prix de la construction de 18 hôpitaux généraux de 20 000 m².

Dassault

Ces restructurations se sont toujours faites dans l’intérêt des capitalistes de l’armement. On peut illustrer cela par l’histoire d’un des grands bourgeois qui ont prospéré sur ce marché particulier, Marcel Dassault, père de Serge, qui est aujourd’hui l’une des premières fortunes du pays. Jeune ingénieur pendant la Première Guerre mondiale, il met au point une hélice améliorée qui lui procure ses premiers succès. Grâce à cela, il se met à construire un avion de chasse en collaboration avec Henry Potez. En 1930, le futur Dassault, qui s’appelait Bloch à l’époque, devient l’un des constructeurs importants de l’armée. Son avion, le fameux Bloch 200, a été surnommé le cercueil volant, mais la sécurité est une chose et les affaires en sont une autre.

Survient le Front populaire. Bloch et Potez sont nationalisés. Fini le commerce de la mort ? Pas du tout ; Marcel Bloch reste président de son usine nationalisée et, avec les indemnités versées, monte d’autres usines. Sous le régime de Vichy, il est arrêté puis déporté. Marcel Bloch est juif et a refusé de travailler pour le compte des Allemands. Dès la Libération, il est nommé directeur d’une compagnie d’aéronautique nationalisée. Parallèlement, il remonte ses propres usines. Pour ses avions, il utilise les compagnies nationalisées comme sous-traitants, mais c’est lui qui prend les commandes. La manne américaine du plan Marshall sera pour lui une très bonne affaire.

Dassault est gaulliste, élu député RPF (le parti de De Gaulle) en 1951, mais a su cultiver de très bonnes relations avec tout le monde en finançant tous les partis. Ses convictions gaullistes passent d’ailleurs après les intérêts de ses affaires. Quand de Gaulle en 1967 parle d’embargo sur les pièces détachées des Mirage destinés aux Israéliens, Dassault laisse entendre qu’il fera construire une usine en Israël et qu’il y enverra ses techniciens. Ce n’est pas par sentiments sionistes que Dassault fait cela : il a changé son nom, s’est converti au catholicisme, est pratiquant et il a vendu sans problème des Mirage aux Arabes. Mais l’argent, pour un marchand d’armes, n’a pas d’odeur, ni religieuse ni politique.

Au-delà de l’aéronautique, Dassault étend son domaine. Il a une société d’électronique qui, elle aussi, vit en grande partie de commandes militaires ; il avait même une banque (la Banque commerciale de Paris) et contrôle aussi un groupe de presse, dont Le Figaro.

Des liens fusionnels

Les liens entre hommes politiques et industriels de l’armement sont permanents, comme le montre par exemple l’affaire Stehlin, qui éclata en 1974. La firme Northrop, un des concurrents de Dassault, a dû révéler devant le Sénat américain que Stehlin, l’ex-chef d’état-major de l’armée de l’Air française, recevait secrètement, depuis 1964, entre 5 000 et 7 500 dollars par an, pour la renseigner sur l’état du marché français et européen. Le malheureux Stehlin était dans la tourmente depuis qu’il avait rédigé une note pour expliquer que le F1-M53, avion fabriqué par Dassault, « sera inférieur en qualité à l’un ou l’autre des deux types d’avions américains ». Les prises de positions pro-américaines de Stehlin provoquèrent un tollé qui lui valut de démissionner de son poste de vice-président de l’Assemblée Nationale. Plus récemment, la version marine du Rafale a été critiquée par l’état-major qui aurait préféré des F18 américains, mais l’État veille au grain, c’est-à-dire aux intérêts de Dassault.

En fait, chaque fabriquant d’armes s’attache les services d’un certain nombre de généraux ou d’officiers supérieurs, en activité ou en retraite, de l’arme pour laquelle il produit. Ainsi, par exemple, des postes sont réservés aux officiers de l’armée de l’Air chez Airbus, à la Snecma ou chez Dassault. Ces postes sont bien souvent des sinécures. Mais ils récompensent un rôle de représentant de commerce auprès des collègues restés en service... ou des services rendus quand ces officiers étaient eux-mêmes en activité.

La béquille étatique au service d’intérêts privés

L’État se comporte comme une mère poule pour les industriels de l’armement et c’est une poule aux œufs d’or. Car si tout est fait pour aider les armes françaises à être compétitives sur le marché mondial, par contre les armes achetées par l’armée française sont facturées au prix fort. C’est ainsi qu’un Mirage II était payé, en 1971, 13 millions de francs par l’État français alors qu’il était vendu 7 millions à l’exportation. De même le char AMX 30 était payé 3 millions par l’armée française alors qu’il coûtait 2 millions pour les marchés étrangers. L’industriel impose son prix à l’État, qui se laisse faire, d’autant plus facilement lorsque quelques généraux ou hauts fonctionnaires se sont vu graisser la patte.

Pour soutenir le Rafale par exemple, l’avion produit par Dassault, l’État français s’était engagé, en cas d’échec à l’exportation, à acheter la totalité de la production annuelle, soit un minimum de 11 avions par an. Ce qu’il a fait pendant plus de vingt ans. Une bonne affaire pour les profits de Dassault, Thales et Safran.

Mentionnons également le cas de Jean-Luc Lagardère qui, après avoir pris le contrôle de Matra, a obtenu en 1996 celui d’Aérospatiale pour une bouchée de pain, grâce à la complicité de Chirac, Jospin et Strauss-Kahn. Son fils Arnaud a revendu en 2012 ses participations dans cet ensemble, devenu EADS, en réalisant une plus-value de 1,8 milliard d’euros.

Garanties de l’État, Coface

Ce n’est pas seulement en étant leur premier et plus fidèle client que l’État aide les industriels fabricants d’armes.

Parce qu’elle travaille pour la Défense nationale, l’industrie d’armement est traitée en privilégiée. L’État finance une grande partie des études et de la recherche des programmes qu’il a autorisés. Cette avance est remboursable mais uniquement si la production s’avère rentable pour le constructeur. En matière d’exportation, l’État met toutes ses ressources au service des marchands d’armes. Pour stimuler le commerce, il se porte garant auprès des vendeurs. Il a constitué, en compagnie des plus gros trusts et pour leur service, plusieurs sociétés d’exportation. Il a aussi mis sur pied une compagnie d’assurance, la Coface, qui garantit les industriels exportateurs contre les risques politiques, guerre ou embargo (et même révolution, ils pensent à tout). Ainsi en 1967, à la suite d’un embargo sur les exportations militaires à Israël (dû à l’agression israélienne de la guerre des Six-Jours), l’État a remboursé à Dassault les 50 Mirage 5 qu’Israël lui avait commandés.

Le Bourget, EuroSatory

Tous les deux ans, deux grands salons offrent une vitrine aux dernières réalisations des techniques militaires. Le premier est très connu, puisqu’il draine chaque fois des dizaines de milliers de Parisiens venus voir les évolutions des avions : le salon du Bourget. On oublie parfois que sa raison d’être n’est pas seulement de présenter les avions civils mais aussi militaires. Le second est Eurosatory, qui suit immédiatement celui du Bourget, mais cette exposition, réservée aux professionnels, n’est pas ouverte au public.

Ce supermarché de la mort est la grand-messe entre fabricants d’armes et institutions politiques. Son succès est grandissant : en 2014, le salon Eurosatory a attiré 1 507 exposants de 59 pays, plus de 55 700 visiteurs et 172 délégations officielles. C’est le plus important salon de l’armement au monde. On y vend une vaste gamme de produits qui va des véhicules (chars de combat, blindés, camions) aux armes légères (armes à feu, missiles, couteaux) en passant par les systèmes de communications, les tenues, les services logistiques, et les équipements de sécurité privée : caméras de surveillance, drones, moyens de sécurisation des points sensibles, etc. Bref, toute la panoplie, il y en a pour tous les goûts.

Les sociétés militaires privées

L’armement ne concerne plus seulement les États car on a vu se développer, depuis les années 1990, des sociétés militaires privées. Celles-ci fournissent des « services » qui peuvent être logistiques mais assurent aussi des missions de protection de personnes ou d’installations sensibles et même des missions de combat. Leurs employés sont les mercenaires modernes en quelque sorte. Parmi elles, Blackwater, qu’un auteur a qualifié d’armée privée la plus puissante du monde, tristement célèbre pour ses exactions en Irak, en particulier la fusillade du 16 décembre 2007, qui a fait dire au porte-parole du ministre de l’Intérieur irakien que « le fait d’être chargé de la sécurité ne les [autorisait] pas à tirer sur les gens n’importe comment ». Précisons que les employés de Blackwater jouissent de l’immunité vis-à-vis du droit irakien. Mais, devant les scandales à répétition de ces fous de la gâchette, (ils seraient impliqués dans plusieurs centaines de fusillades), Blackwater a fini par perdre son contrat en Irak et a changé de nom pour s’appeler Xe puis Academi. Et ils ont continué à obtenir de gros contrats, en particulier en Afghanistan ou aux Émirats arabes unis.

De nombreuses autres sociétés privées travaillent pour le département de la Défense américain mais aussi et surtout pour le renseignement : plus de 1 000 selon le Washington Post. Le poids économique du secteur au niveau mondial était estimé à 100 milliards de dollars en 2006, dont la moitié pour les États-Unis. En Afghanistan, les militaires privés sont plus nombreux que les troupes régulières (113 000 contre 93 000). En France, un rapport parlementaire de février 2012 (signé conjointement par des députés de droite et de gauche) préconise de « soutenir l’activité économique du secteur » car, tout en reconnaissant des problèmes éthiques, « le monde avance sur ces sujets sans attendre la France ». Sous l’œil bienveillant et attentif de l’Élysée, le secteur a commencé à se structurer et assure, depuis plusieurs années, la protection des grandes entreprises françaises comme Areva ou Bouygues à l’étranger. Mais les quelque 130 sociétés françaises font figure de PME à côté des grosses sociétés américaines ou britanniques qui ont pris une longueur d’avance et écrasent la concurrence.

Les interventions françaises

Pour le matériel militaire, la France a, par contre, un savoir-faire bien établi et une belle vitrine, dans laquelle l’État s’investit sans compter : les interventions militaires françaises. La publicité pour les armes y est plus percutante qu’à une exposition dans un salon ; on parle même, dans le milieu, du label « combat proven » (testé en zone de guerre). Les interventions de cet impérialisme de second rang pour maintenir son influence dans ses zones d’influence sont en effet nombreuses. En ce moment même, l’armée française est présente au Mali, au Tchad, au Burkina Faso (opération Barkhane), en Côte d’Ivoire, en Centrafrique. L’aviation française bombarde la Syrie et l’Irak. Il y a peu, elle a bombardé la Libye et était présente en Afghanistan. Ces multiples conflits permettent le maintien des intérêts français, notamment en Afrique.

L’argent n’a pas d’odeur

Le cynisme des vendeurs d’armes et des États à leur service ne s’arrête pas aux guerres que ces derniers mènent directement. Nombre de ventes d’armes effectuées par des États se font à la frontière du légal et de l’illégal, par exemple à des pays subissant un embargo de l’ONU. C’est ce qui est appelé le marché gris. C’est un marché interlope dans lequel se croisent intermédiaires douteux et commanditaires galonnés, services secrets et barbouzes, financiers de haut vol et prostituées de luxe, dictateurs et affairistes véreux, trafiquants et politiciens sans scrupule, avec commissions et rétro-commissions, comme l’a encore rappelé l’affaire Karachi dans laquelle Sarkozy et Balladur sont impliqués jusqu’au cou ou, antérieurement, celle des frégates de Taïwan, une affaire à tiroirs qui a mouillé entre autres Roland Dumas, ex-ministre de Mitterrand et ex-président du Conseil constitutionnel.

Mais, même lorsqu’il n’est pas « gris », le marché de l’armement ne s’est jamais embarrassé de scrupules. En 1973-1974, la France a vendu des armes à l’Afrique du Sud sous le régime de l’Apartheid, au Portugal colonialiste de Caetano (renversé par la révolution des œillets), au Chili de Pinochet (avec le prétexte que les contrats furent passés avec Allende) et à un grand nombre de dictatures militaires d’Amérique, d’Asie ou d’Afrique. Elle en a aussi vendu en même temps à des pays en guerre : l’Inde et le Pakistan, l’Égypte et Israël, l’Iran et l’Irak. Enfin la France et le Royaume-Uni sont actuellement montrés du doigt pour vendre des armes à l’Arabie saoudite, accusée de les utiliser contre des civils au Yémen et ceci en violation du TCA (traité sur le commerce des armes) que ces puissances ont signé et ratifié en 2014.

Dans une autre forme de cynisme, on pourrait citer l’Allemagne qui, en 2010, a exporté pour 403 millions d’euros de biens militaires vers la Grèce, juste avant de lui imposer de brutales politiques d’austérité.

Les bonnes affaires des capitalistes français

Aujourd’hui, les affaires vont bien : 2014, 2015 et 2016 ont été des années fastes pour les exportations militaires françaises qui ont connu des records historiques, en particulier trois marchés consécutifs pour le chasseur Rafale : Égypte, Inde, Qatar (alors que la merveille meurtrière de Dassault semblait invendable depuis une quinzaine d’années). Rien que pour l’Égypte ce marché est de 5,2 milliards d’euros et comprend notamment la livraison de 24 chasseurs Rafale. Dans Le Figaro du 5 août 2015, journal de Dassault, on a fêté l’événement avec beaucoup de lyrisme : « Lorsque l’élégant bateau du roi Farouk marquera de son sillage cet après-midi les eaux azur du nouveau canal de Suez, escorté par une frégate ultramoderne et trois Rafale récemment acquis à la France, les Égyptiens ressentiront une fierté très légitime. » Ah ! ces journalistes, de vrais poètes.

Mais surtout il y a eu, en 2016, le contrat du siècle de 12 sous-marins Barracuda avec l’Australie, pour 34 milliards, pour lequel le brave ex-ministre de la Défense Le Drian s’est dépensé sans compter.

Mais même si les affaires vont bien, il y a quand même quelques mésaventures, comme celle de la vente de deux porte-hélicoptères Mistral promis à la Russie mais qu’il était politiquement trop délicat de livrer en plein conflit ukrainien. Qu’à cela ne tienne : la France a pu compter sur un autre bon client historique, l’Égypte, qui, grâce à un financement saoudien, aura donc de superbes bâtiments spécialement équipés de brise-glace et de ponts chauffants.

En 2014 eut lieu une crispation avec la Belgique, qui a acheté des F-35 américains plutôt que des Rafale, un choix qui s’expliquerait par le fait que le ministre de la Défense, Pieter de Crem, était candidat au poste de secrétaire général de l’OTAN et que, pour avoir une chance à ce poste, il fallait bien sûr se montrer soucieux des intérêts stratégiques américains.

Autre mésaventure, en octobre 2016 : la Pologne a annulé brutalement un contrat pour l’achat de 50 hélicoptères Caracal à Airbus, jetant un froid diplomatique au point que Le Drian a refusé de serrer la main à son homologue polonais.

Gâchis, réformisme et pacifisme

Un monstrueux gâchis

Le marché de l’armement est par nature un marché nuisible et au mieux inutile pour la population. Si cette industrie représente une manne pour les capitalistes du secteur, pour la société c’est un immense gâchis économique et social, bien à l’image de cette société capitaliste qui dépense plus d’énergie à produire des engins de mort qu’à permettre aux hommes de vivre dignement. Combien d’hôpitaux, combien d’écoles, combien de logements pourrait-on construire en se passant des joujoux pour militaires produits par les Dassault, Nexter, Thales et autres Safran ou Airbus ? Un Rafale de chez Dassault coûte plus de 100 millions d’euros. Le char Leclerc AMX 56 produit par Nexter se vendrait autour de 10 millions.

Pour ce qui est du char Leclerc, selon un article du Quotidien du Peuple chinois relatif aux chars les plus chers du monde, « en plus des qualités exceptionnelles propres aux chars d’élite, il est celui qui possède le plus grand nombre d’applications de technologies de pointe au monde ». Tous les cerveaux mis à la disposition de la recherche militaire, dans la métallurgie ou l’informatique, seraient bien plus utiles à la recherche médicale par exemple. Mais, dans ce domaine, on préfère faire appel à la générosité publique plutôt qu’aux ressources de l’État. Celles-ci sont à la disposition de la bourgeoisie avant tout, et en particulier sous la forme de commandes passées aux industriels de l’armement, à travers le budget de la Défense.

Le budget de la Défense dévore une part importante des impôts. Il constitue un très bon exemple de la manière dont les finances de l’État servent à alimenter, directement et indirectement, les caisses d’un certain nombre de grandes sociétés. Et tous les prétextes sont bons pour en donner toujours plus. Ainsi, après les attentats commis à Paris en janvier 2015, le gouvernement avait prévu une hausse de 600 millions d’euros du budget de la Défense pour 2016, pour le porter à 32 milliards, en augmentation de près de 4 %. Après les attentats du 13 novembre 2015, le gouvernement avait décidé une nouvelle rallonge de 273 millions d’euros. Et, après un coup de rabot de 850 millions cette année, qui a conduit à la démission indignée du chef d’état-major, le gouvernement Macron-Philippe a annoncé une augmentation de plus du double pour les années 2018 et 2019.

La gauche et la défense nationale

Les marchands d’armes peuvent se frotter les mains, l’État, leur client privilégié, est toujours très demandeur. D’autant que la défense nationale est un sujet tabou, dont il serait malséant de contester la nécessité. En effet tous les grands partis politiques, de la droite au PS en passant par le Parti communiste et Mélenchon, reconnaissent, avec une parfaite unanimité, sa légitimité.

Une longue tradition veut que, tout en reconnaissant le principe de la défense nationale, le Parti communiste et le Parti socialiste, lorsqu’ils sont dans l’opposition, critiquent éventuellement la politique militaire des gouvernements. Mais une fois au pouvoir, ils ont toujours tenu à montrer leur sens des responsabilités vis-à-vis de la bourgeoisie et de son armée.

Pour notre part, nous nous en tenons à ce qu’affirmait le jeune Parti communiste, section française de l’Internationale communiste, en 1923, à une époque où il n’avait pas encore découvert le charme discret de la Marseillaise et du drapeau tricolore : « Pas un homme, pas un sou pour le militaire, pour la défense intérieure de l’État bourgeois. À bas la Défense nationale. »

Rappelons comment Parti socialiste et Parti communiste français ont donné, au cours de leur histoire politique, le triste spectacle de leur position fluctuante sur la question de l’armement, en particulier le PCF. En janvier 1944, depuis Alger, le PCF déclarait : « L’armée de la nation, nous la voulons puissante et vigoureuse, auréolée de la gloire des victoires emportées sur l’ennemi hitlérien, nous la voulons liée fraternellement au peuple de France et honorée dans ses officiers, sous-officiers et soldats. » Et, au sortir de la Deuxième Guerre mondiale, il accepta de participer au premier gouvernement de De Gaulle.

Il s’agissait de faire avaler aux travailleurs la nécessité du maintien de l’appareil d’État, avec la plupart des anciens hauts fonctionnaires du régime de Vichy, et de la restructuration de son armée. De Gaulle confia plusieurs ministères clés au PCF : Charles Tillon fut ministre, successivement, de l’Air, de l’Armement, puis de la Reconstruction, et François Billoux ministre de la Défense nationale en 1947. Le PCF a soutenu toutes les prétentions impérialistes du gouvernement, sur la Sarre et la Ruhr ou le Piémont ; il a couvert le bombardement de Sétif et Guelma en 1945 en Algérie et la répression en 1947 à Madagascar.

Avec les débuts de la guerre froide, le PCF quitte le gouvernement en 1947 et on assiste à un nouveau changement de musique. La lutte contre les armes atomiques va être un de ses chevaux de bataille. Le PCF s’est alors forgé une réputation solide de parti pacifiste au travers de campagnes pour le désarmement, dans les années 1950-60. Au nom du pacifisme antinucléaire, il a tenté de mobiliser largement à une époque où le monde, horrifié, découvrait la puissance nucléaire et vivait dans la peur d’une troisième guerre mondiale atomique. Le PCF trouvait là l’occasion de sortir de son isolement, en drainant des foules derrière ses banderoles ou en recueillant des signatures au bas de l’Appel de Stockholm, vaste pétition demandant la suppression de la bombe atomique, qui a recueilli 500 millions de signatures à travers le monde. Comment croire qu’il suffit de supplier les bourgeois d’être plus humains et raisonnables, pour qu’ils renoncent à la folie nucléaire et s’engagent dans le désarmement général ?

À l’explosion de la première bombe française, dans les années 1960, le PCF protestait : « Sans profit réel pour la science ni pour la défense nationale, plus de 200 milliards de francs sont partis en fumée. » Il s’opposait, sous de Gaulle, à la force de frappe et à sa politique militaire, mais c’était au nom d’une autre conception du militarisme.

Le Parti socialiste, lui aussi dans l’opposition au moment où de Gaulle avait créé la force de frappe atomique française, avait critiqué cette orientation. Les deux partis s’étaient donc rejoints sur ce point et la renonciation à cette force de frappe était même prévue dans le Programme commun de la gauche de 1972 : « Arrêt immédiat de la fabrication de la force de frappe, la reconversion de l’industrie nucléaire militaire en industrie pacifique. »

Pour ces partis réformistes, combattre l’arme nucléaire, prôner le désarmement nucléaire général, ont été de simples alibis de gauche pour ne pas combattre le reste, le militarisme et la société capitaliste qui l’engendre. Car la seule façon de désarmer, c’est de combattre le capitalisme et le renverser.

Mais, lorsqu’à l’approche des élections législatives de 1978, la possibilité de participer au gouvernement sembla se rapprocher, PS et PCF effectuèrent leur… reconversion nucléaire. Pour le PS, il s’agissait de « ne pas soumettre la défense nationale aux États-Unis ». Le PCF lui emboîta le pas par la voix de son secrétaire général, Georges Marchais, qui proclama le 21 juin 1977 : « J’ai consulté des spécialistes ; ils estiment que notre armée conventionnelle ne résisterait pas trois jours ; nous nous sommes donc par conséquent prononcés pour le maintien de la force de frappe nucléaire. »

Et, de 1981 à 1984, les députés communistes et socialistes votèrent comme un seul homme les budgets militaires qui prévoyaient d’engloutir, pour moderniser la force de frappe française, des parts importantes du budget qui auraient pu être bien mieux employées autrement.

Et puis bien des syndicalistes s’acharnaient à défendre non pas les salariés de ces secteurs mais l’industrie d’armement elle-même, comme à Tarbes où il fallait sauver la production de la tourelle du chars Leclerc, bien français. D’autres sont allés jusqu’à prôner l’extension de la production puisqu’elle permettait d’assurer l’emploi… comme la CGT de la SNIAS (ancêtre d’Airbus) à Marignane qui protestait contre l’embargo qui empêchait de vendre des hélicoptères au Moyen-Orient.

Bien entendu Lutte ouvrière n’a jamais été, pour autant, indifférente au sort des travailleurs des industries d’armement, en particulier de ceux qui risquaient d’être licenciés. Nous nous sommes toujours prononcés pour la reconversion des industries d’armement vers des fabrications utiles et pour que pas un seul travailleur n’ait à en faire les frais.

Au milieu des années 1980, après son départ du gouvernement, le PCF redevient pacifiste en organisant le festival national de la Paix comme en juin 1986. Tout en affirmant dans L’Humanité du 31 mai de la même année, que la France « a besoin pour asseoir son indépendance de produire elle-même les armements majeurs indispensables à sa défense ».

Pacifisme ou militarisme, un faux choix politique

En fait ces contradictions des partis réformistes que sont les partis dits de gauche s’expliquent par le fait qu’ils entretiennent l’illusion qu’une autre politique militaire ou de défense nationale est possible sans qu’il soit nécessaire de renverser le capitalisme. Les uns vendent des armes, d’autres des illusions.

Cette discussion ramène à la nature de l’impérialisme, et Lénine en son temps avait déjà combattu l’analyse que le chef réformiste Kautsky en faisait. Voici ce qu’il écrivait (toujours dans L’impérialisme, stade suprême du capitalisme) : « Kautsky s’est résolument élevé [...] contre les idées fondamentales exprimées dans notre définition de l’impérialisme, en déclarant qu’il faut entendre par impérialisme non pas une "phase” ou un degré de l’économie, mais une politique, plus précisément une politique déterminée, celle que “préfère” le capital financier. [...] Kautsky détache la politique de l’impérialisme de son économie, et en opposant à cette politique une autre politique bourgeoise prétendument possible, toujours sur la base du capital financier. Cela revient à estomper, à émousser les contradictions les plus fondamentales de la phase actuelle du capitalisme, au lieu d’en dévoiler la profondeur. »

C’est le propre du réformisme de faire croire que l’on peut combattre les aspects les plus révoltants du système capitaliste sans combattre ses fondements économiques, à savoir l’économie de marché et la propriété privée des moyens de production.

Pour contester le fait que le capitalisme engendre inévitablement guerres et violences, Kautsky écrivait par exemple : « Du point de vue purement économique, il n’est pas impossible que le capitalisme traverse encore une nouvelle phase [...], une phase d’ultra-impérialisme, c’est-à-dire [...] d’union et non de lutte des impérialismes du monde entier, une phase de la cessation des guerres en régime capitaliste. »

Le fait que, depuis 1945, le monde n’ait pas connu de conflit généralisé basé sur les rivalités entre les puissances impérialistes pourrait laisser penser que ce raisonnement contient une part de vérité. Mais peut-on réellement dire que, grâce à la bonne entente entre les grandes puissances, le monde d’aujourd’hui est pacifique ? L’alliance pacifique des grandes puissances n’est qu’une alliance de brigands pour piller le monde. La supériorité écrasante des États-Unis fait qu’aujourd’hui aucun des brigands de seconde zone ne songe à les défier. La domination impérialiste sur le monde n’est pas moins brutale aujourd’hui qu’elle ne l’était au temps du colonialisme. L’impérialisme s’est simplement légèrement camouflé derrière des régimes politiques formellement indépendants.

Pour Lénine, la signification de cette théorie de l’ultra-impérialisme, qu’il qualifiait d’ultra-niaiserie, « est et ne peut être que de consoler les masses, [...] par l’espoir d’une paix permanente en régime capitaliste », et il ajoute plus loin que l’impérialisme « ne peut maintenir sa domination qu’en multipliant sans cesse ses forces militaires ».

Conclusion

Pour conclure, la perspective que nous défendons, le communisme, est celle d’une société sans guerre et sans armes. Mais pour cela, on ne peut se contenter de discours sur la paix, le désarmement en général, on ne peut dissocier le problème de la guerre et du militarisme de l’ensemble du fonctionnement de la société. Nous vivons dans une société de classes, basée sur la concurrence, la guerre économique permanente, les rivalités pour l’accaparement des ressources. Le militarisme est inséparable de l’économie capitaliste basée sur l’exploitation et les rapports de force. Il a pris avec l’impérialisme un caractère encore plus parasitaire et monstrueux.

Depuis la fin de la Deuxième Guerre mondiale, la planète n’a pas connu un seul jour sans guerre. Les guerres régionales se sont succédé et les attentats qui ont frappé New York, Paris, Londres, Bruxelles, Barcelone sont aussi une conséquence des guerres menées par les puissances impérialistes. Cela fait seize ans que les grandes puissances ont déclaré la guerre au terrorisme et il n’y a jamais eu autant de terroristes. Le capitalisme n’offre aucun avenir, si ce n’est la misère, les crises et les guerres. Il faut en finir avec le capitalisme avant que celui-ci ne généralise la barbarie.

Nous ne sommes pas de ceux qui revendiquent le monopole de l’armement nucléaire pour les grandes puissances déjà membres du « club atomique ». Et nous considérons, comme les communistes révolutionnaires l’ont toujours fait, tous les discours sur le désarmement comme un combat illusoire et voué à l’échec, parce que ces discours refusent de poser le seul vrai problème, celui du pouvoir et de la domination de la bourgeoisie.

Que le prix Nobel de la paix vienne tout récemment d’être attribué à l’ICAN (une organisation qui milite pour l’abolition des armes nucléaires) sert à donner bonne conscience, à « consoler les masses » comme disait Lénine, à faire croire que le monde n’est pas uniquement dirigé par des cyniques sans scrupule comme Trump.

Des organismes internationaux comme l’ONU ou des conventions comme celles de Genève ou de La Haye prétendent fixer les règles que tous sont censés respecter mais, pour certains pays qui contreviennent aux règles, on envoie aviation, chars, troupes (comme en Irak) et pour d’autres (alliés des impérialistes comme Israël), on se contente de condamnations platoniques. En fait, les organismes internationaux ne font que sanctionner la loi du plus fort, la loi des pays impérialistes.

Aux légitimes aspirations à la paix, les révolutionnaires ne peuvent répondre qu’en expliquant que c’est dans la division de la société en classes, que c’est dans l’existence de l’impérialisme, que résident les germes de pratiquement tous les conflits possibles à notre époque et que, s’ils veulent être conséquents, tous les hommes épris de paix devraient lutter pour le renversement de cet impérialisme. Il n’y aura de paix durable possible, de désarmement envisageable, que dans un monde où la bourgeoisie aura été vaincue.

Peut-on croire qu’il suffit de discours ou même de manifestations pacifistes pour que disparaissent les fauteurs de guerre, leur puissance sociale, leur système et tout l’arsenal guerrier destiné à protéger ce système ? Car le militarisme fait partie intégrante de l’impérialisme et, en temps de crise, c’est pour la bourgeoisie un moyen sans risque de faire des profits garantis grâce aux commandes de l’État. La collusion entre la classe dominante et l’État n’a pas un caractère fortuit ou occasionnel, elle est permanente, elle est organique. Le seul moyen de mettre un terme à cette course aux armements, de désarmer à tout jamais les fauteurs de guerre, c’est d’éliminer l’impérialisme, de lui retirer les moyens de sa domination. Pour cela, il faut arracher à la bourgeoisie le pouvoir d’État et la propriété du capital. Et il n’y a pas d’autre force capable de le faire, ici comme à l’échelle de la planète, que la classe ouvrière. Il lui manque aujourd’hui la conscience de cette nécessité, la conscience de sa force collective, il lui manque un parti, à l’échelle internationale, incarnant cette perspective, mais c’est la seule voie. Et pour terminer, nous reprendrons un slogan du mouvement ouvrier : « Celui qui veut la paix doit préparer la révolution »

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