L'extrême gauche, la question palestinienne et le Hamas
La guerre qui a repris le 7 octobre entre l’État d’Israël et les Palestiniens a amené l’extrême gauche à se positionner. Les politiques défendues par deux organisations, le NPA de Philippe Poutou et Olivier Besancenot (qui édite L’Anticapitaliste)[1], et Révolution permanente (RP), dont le porte-parole est Anasse Kazib, valent d’être examinées.
Le 7 octobre, le NPA a commencé par publier un communiqué se réjouissant du fait que « l’offensive » soit « du côté de la résistance » : « Le NPA rappelle son soutien aux PalestinienNEs et aux moyens de luttes qu’ils et elles ont choisi pour résister. » Sans doute embarrassé par le fait que lesdits « moyens de luttes » incluent le massacre de centaines de civils israéliens, voire d’ouvriers agricoles thaïlandais, le NPA a nuancé sa position deux jours plus tard en précisant que « le projet politique et idéologique, la stratégie et les moyens de lutte du Hamas » n’étaient pas les siens, qu’il déplorait « toutes les victimes civiles » et dénonçait « tous les crimes de guerre ». Mais à aucun moment le NPA ne critique la nature de classe, bourgeoise, du Hamas, ni sa politique nationaliste et réactionnaire. Et depuis un mois et demi, il exprime sa solidarité avec le Hamas, considéré comme la direction du peuple palestinien, sans lui opposer une politique de classe.
Il faut dire que le NPA ne parle plus guère de révolution ouvrière et de communisme. Sur le plan international, la « solidarité » avec les peuples opprimés en général et, en particulier, ceux qui s’en veulent les dirigeants, lui tient lieu de bréviaire. Nous ne reviendrons pas ici sur le fait qu’un tel soutien socialement indistinct l’amène, dans la guerre en Ukraine, à soutenir le camp de l’OTAN de Biden et Macron contre la Russie de Poutine. En France, son expression politique ne se démarque plus guère de celle de La France insoumise, à laquelle il a proposé une campagne commune aux élections européennes de 2024, une démarche dans la continuité des accords électoraux scellés avec le parti de Mélenchon en 2020 et 2021, et tentés sans succès en 2022.
RP, en revanche, se dit trotskyste et révolutionnaire. Rappelons que ce groupe, issu du courant moréniste, s’est formé en 2021, en scissionnant du NPA, auquel il reprochait de se rapprocher de la gauche institutionnelle. Sur la question palestinienne, il défend en fait une politique semblable de soutien aux organisations nationalistes. À l’instar du NPA, il reproche au Hamas les « victimes civiles » du 7 octobre, une critique qui aurait assurément pu être adressée au pouvoir bolchevique en son temps. Il le qualifie d’« organisation pro-capitaliste et religieuse », et explique même que son programme d’État islamiste est « réactionnaire ». Mais cela ne l’empêche pas de le soutenir, au titre du soutien à la « résistance palestinienne », ou encore de la « résistance du camp palestinien ». Dans ses interventions publiques, RP tait toute critique du Hamas et arbore le drapeau national palestinien. Dans un article récent, il reproche à Lutte ouvrière de « déroger à des principes de solidarité élémentaire avec les luttes de libération nationale ». Cela mérite réponse.
Les communistes et la question nationale
Dans un pays impérialiste comme la France, les révolutionnaires se doivent certes de marquer leur solidarité avec les victimes des grandes puissances, ici le peuple palestinien. Contrairement à ce qu’écrit RP, Lutte ouvrière n’est pas neutre et ne renvoie pas « dos-à-dos une organisation du mouvement national palestinien et l’État d’Israël ». Nous n’avons cessé de dénoncer la politique des dirigeants israéliens aux dépens des droits élémentaires du peuple palestinien, et leur terrorisme d’État, dont la violence s’exerce à une tout autre échelle que celle du Hamas, avec la bénédiction des puissances impérialistes dont la France.
Mais la solidarité ne fonde pas une politique marxiste. Même si chaque situation est spécifique, la question des luttes nationales et du nationalisme n’est pas nouvelle dans le mouvement communiste. Dans sa critique de notre politique, RP mobilise d’ailleurs Marx, Engels, Lénine et Trotsky. Ceux-ci ne sont plus là pour trancher, mais ils ont laissé une abondante littérature sur la question, en particulier Lénine et Trotsky, confrontés tout à la fois à la domination impérialiste et à de nombreux mouvements de libération nationale.
Au sein de la Deuxième Internationale, Lénine soutenait les droits des Polonais ou des Juifs victimes de l’oppression dans la Russie tsariste. Mais il combattait les nationalistes bourgeois polonais et le Bund, qui ne voulait organiser que des travailleurs juifs. A ses yeux, reconnaitre le droit des nations polonaise, juive ou autre, à disposer d’elles-mêmes, était indissociable de la lutte contre les nationalistes qui prétendaient les représenter[2]. Pendant la Première Guerre mondiale, Rosa Luxemburg et Lénine dénonçaient la capitulation de la SFIO, du Parti social-démocrate allemand ou encore du Labour britannique, qui défendaient leurs impérialismes respectifs en lutte pour préserver ou étendre leur part du pillage colonial. Le marxisme de ces dirigeants révolutionnaires était sans ambiguïté. RP souligne que, dans Le socialisme et la guerre (1915), Lénine se prononçait pour la victoire du Maroc contre la France, de l’Inde contre l’Angleterre, de la Perse ou de la Chine contre la Russie. Certes, mais Lénine défendait également la lutte de classe du prolétariat des pays colonisés ou semi-coloniaux contre leurs classes dirigeantes locales et leurs représentants, sultan, seigneur de guerre ou maharadja.
Pendant la Révolution russe, le jeune pouvoir soviétique reconnaissait le droit des peuples à disposer d’eux-mêmes. Mais il voulait les fédérer, dans le cadre d’une transformation révolutionnaire de la société, et il luttait de façon implacable pour le pouvoir prolétarien contre les nationalistes bourgeois, fussent-ils ukrainiens, polonais ou géorgiens.
Lors de son deuxième congrès, en 1920, l’Internationale communiste débattit des questions nationale et coloniale. Elle inscrivait à son programme la lutte contre le colonialisme et l’impérialisme. Mais elle ajoutait :
« Il existe dans les pays opprimés deux mouvements qui, chaque jour, se séparent de plus en plus : le premier est le mouvement bourgeois démocratique nationaliste qui a un programme d'indépendance politique et d'ordre bourgeois ; l'autre est celui des paysans et des ouvriers ignorants et pauvres pour leur émancipation de toute espèce d'exploitation.
Le premier tente de diriger le second et y a souvent réussi dans une certaine mesure. Mais l'Internationale communiste et les partis adhérents doivent combattre cette tendance et chercher à développer les sentiments de classe indépendante dans les masses ouvrières des colonies.
L'une des plus grandes tâches à cette fin est la formation de partis communistes qui organisent les ouvriers et les paysans et les conduisent à la révolution et à l'établissement de la République soviétique. » (thèse supplémentaire 7)
Les mêmes thèses soulignaient la nécessité de combattre « l’influence réactionnaire et moyenâgeuse du clergé », « le panislamisme, le panasiatisme et autres mouvements similaires ». « L'Internationale Communiste, ajoutait ce texte rédigé par Lénine, ne doit soutenir les mouvements révolutionnaires dans les colonies et les pays arriérés, qu'à la condition que les éléments des plus purs partis communistes – et communistes en fait – soient groupés et instruits de leurs tâches particulières, c'est-à-dire de leur mission de combattre le mouvement bourgeois et démocratique » (thèse 11). Partout où ils étaient en mesure de le faire, y compris en Inde ou en Palestine, les communistes créèrent des partis indépendants des mouvements nationalistes bourgeois.
Pendant la révolution chinoise (1925-1927), Lénine était décédé, Trotsky avait été écarté de la direction de l’Internationale, et Staline, Zinoviev et Boukharine demandèrent au jeune Parti communiste chinois de soutenir le parti nationaliste Kuomintang et même de se fondre en son sein. La suite de l’histoire est connue : le Kuomintang de Tchang Kai-tchek s’empara du pouvoir, massacra les prolétaires et liquida les militants communistes qui l’avaient soutenu, avant d’exercer pendant plus de vingt ans une dictature féroce. Trotsky ne cessa de dénoncer ce suivisme, et lors du 6e congrès de l’Internationale, en 1928, il se livra à une critique en règle de la politique de l’Internationale :
« La question de la nature et de la politique de la bourgeoisie est tranchée par toute la structure interne des classes dans la nation qui conduit la lutte révolutionnaire, par l'époque historique où se déroule cette lutte, par le degré de dépendance économique, politique et militaire qui lie la bourgeoisie indigène à l'impérialisme mondial dans son ensemble ou à une partie de celui-ci, enfin – et c'est là le principal – par le degré d'activité de classe du prolétariat indigène et par l'état de sa liaison avec le mouvement révolutionnaire international. Une révolution démocratique ou la libération nationale peuvent permettre à la bourgeoisie d'approfondir et d'étendre ses possibilités d'exploitation. L'intervention autonome du prolétariat sur l'arène révolutionnaire menace de les lui ôter toutes. » (L’internationale communiste après Lénine)
Trotsky n’a jamais varié de cette position. Encore en mai 1940, il écrivait, dans le Manifeste d’alarme de la IVe Internationale sur la guerre impérialiste et la révolution mondiale :
« La IV° Internationale ne dresse pas de cloison étanche entre pays arriérés et avancés, révolution démocratique et socialiste. Elle les combine et les subordonne à la lutte mondiale des opprimés contre les oppresseurs. De même que l'unique force authentiquement révolutionnaire de notre époque est le prolétariat international, de même le seul programme véritable pour la liquidation de toute oppression, sociale ou nationale, est celui de la révolution permanente. »
Par la suite, le Secrétariat unifié de la 4e Internationale a renoncé à cette politique, en se mettant à la remorque des mouvements nationalistes des pays pauvres, du PC chinois aux sandinistes nicaraguayens, en passant par le FNL vietnamien et le FLN algérien, tour à tour présentés à l’époque comme « porteurs du socialisme ».
Le Hamas et la lutte nationale des Palestiniens
Quand RP fustige notre slogan : « Contre l’impérialisme et ses manœuvres, contre Netanyahou et le Hamas, prolétaires de France, de Palestine, d’Israël… unissons-nous ! », sa critique vise en fait la seule expression… « contre le Hamas ». Le Hamas administre la bande de Gaza depuis 2007. Après avoir remporté en 2006 les élections face au Fatah, discrédité par ses compromissions avec l’État d’Israël, il l’avait mis en déroute lors d’un affrontement sanglant. Le Hamas (Mouvement de la résistance islamique) s’est donc imposé sur le terrain du nationalisme bourgeois, mais il en est une version religieuse et réactionnaire. Il a d’abord tenté de cantonner les femmes aux tâches domestiques, de leur imposer le port du hijab ou encore l’interdiction de fumer en public, avant de reculer face aux résistances. Et si un mouvement ouvrier communiste se développe à Gaza, il se heurtera à une répression comparable à celle des dirigeants de l’Iran ou de l’Arabie saoudite, deux régimes modèles pour cette branche palestinienne des Frères musulmans qu’est le Hamas.
Qualifier le Hamas de « principale organisation de la résistance » palestinienne est un abus de langage, pour ne pas dire une escroquerie. Depuis 17 ans, il exerce sa dictature sur les 2,2 millions d’habitants de Gaza. Il dirige un petit appareil d’État, avec une administration, des impôts, une milice, des prisons, et tout un appareil répressif. Avant le 7 octobre, peut-être gardait-il un certain prestige aux yeux des Gazaouis ; peut-être pas. Le Hamas n’organise pas d’élections. Bien des critiques le ciblent : ses cadres, qui défendent les privilèges de la bourgeoisie palestinienne, sont souvent corrompus et mieux lotis que le reste des habitants. Plusieurs mobilisations spontanées ont émergé ces dernières années par le biais des réseaux sociaux, à l’instar du mouvement « Nous voulons vivre » en 2019, où des milliers de jeunes ont manifesté contre les impôts et la pauvreté, avant d’être violemment réprimés par le Hamas. Dans son affrontement avec Israël, il ne cherche pas à créer ou à s’appuyer sur un mouvement de masse, il tâche d’étouffer toute révolte spontanée. Au printemps 2021, quand la jeunesse des quartiers occupés de Jérusalem, de Cisjordanie et des camps de réfugiés s’est soulevée, le Hamas a cherché à tirer parti de la situation pour s’imposer comme l’interlocuteur obligé du pouvoir israélien. En tirant des roquettes vers Israël, il a voulu montrer qu’il était la seule organisation combattante. L’État d’Israël ayant répondu en bombardant Gaza, cet affrontement militaire a mis fin à la révolte de la jeunesse.
Si une partie des masses palestiniennes font confiance au Hamas, lui en tout cas ne leur fait pas confiance. C’est, écrit RP, « sur le plan militaire, la principale organisation de la résistance nationale ». Mais le Hamas agit et décide hors de tout contrôle de la population palestinienne et des plus pauvres. Ses méthodes ne visent pas à permettre aux révoltés de prendre conscience de leur force, de s’organiser et de faire un apprentissage politique. Il a constitué une milice qui n’est pas contrôlée par les travailleurs, qui mène sa politique indépendamment de leurs intérêts, et qui les somme ensuite de les soutenir face à la répression. L’attaque du 7 octobre a été lancée par sa direction hors de tout contrôle et de toute discussion, imposant ses conséquences aux Gazaouis qui, depuis, paient dans leur chair les bombardements et les massacres de l’armée israélienne.
Les dirigeants du Hamas avaient évidemment prévu la riposte sanglante d’Israël. Elle ne contrarie pas forcément sa stratégie, qui vise à souder les Palestiniens (y compris ceux de Cisjordanie) derrière lui, et qui creuse encore le fossé de sang établi par l’État d’Israël entre les deux peuples. Comme l’explique cyniquement un de ses dirigeants Khalil al-Hayya : « L’objectif du Hamas n’est pas de diriger Gaza ni de lui apporter de l’eau, de l’électricité ou quoi que ce soit » (New York Times, 8 novembre). Les Gazaouis sont une masse de manœuvre pour les dirigeants du Hamas. Ceux-ci sont les protégés de l’émir du Qatar, un régime dont les dignitaires prospèrent grâce à l’exploitation féroce de dizaines de milliers d’ouvriers, essentiellement immigrés. Le Hamas ne remet nullement en cause le capitalisme et la domination de la bourgeoisie, il les défend. En canalisant à son profit la révolte des jeunes Palestiniens vers l’affrontement militaire, il contribue à sa façon au maintien de l’ordre social et au fond de l’ordre impérialiste. Il représente une énième variante du nationalisme bourgeois, dans une version religieuse particulièrement réactionnaire. Tout comme l’OLP impose sa loi en Cisjordanie, le Hamas est à Gaza un gendarme qui impose sa loi à la population en tentant de combattre celle d’Israël, mais dans le cadre de l’ordre social existant.
RP nous reproche de plaider pour l’unité des travailleurs palestiniens et des travailleurs juifs, une aspiration qui ignorerait la réalité et ne tiendrait pas compte du « régime d’apartheid qui caractérise Israël » (30 octobre). Dans un autre article, RP prône pourtant « l’unité la plus profonde… aussi avec les travailleurs d’Israël disposés à rompre avec le sionisme »[3]. Allez comprendre…
Un apartheid existe en effet, notamment vis-à-vis des Gazaouis et des Palestiniens de Cisjordanie, mais l’article du 30 octobre semble ignorer les deux millions de Palestiniens vivant en Israël, et qui travaillent souvent aux côtés d’Israéliens juifs et de dizaines de milliers d’immigrés en provenance d’autres pays. En fait, RP nous reproche de baser notre politique sur le terrain de la classe ouvrière. RP invoque Marx, Engels, Lénine et Trotsky… en oubliant la boussole de tout leur combat : « Prolétaires de tous les pays, unissons-nous ! ». RP nous reproche de « [remplacer] discrètement la lutte de libération nationale palestinienne [par] une lutte des « travailleurs » contre « les classes dominantes » ». Mais nous ne le faisons pas discrètement, nous le revendiquons, alors qu’avec RP, la lutte des travailleurs disparait.
En lieu et place d’une politique de classe, cette organisation se rabat sur la « « transcroissance » de la lutte pour l’autodétermination nationale en révolution ouvrière », un terme repris formellement de Lénine et Trotsky, mais qui a maintes fois été utilisé par des courants se disant trotskystes pour justifier leur alignement derrière des directions nationalistes petites-bourgeoises et leur renoncement à construire dans la classe ouvrière le parti communiste révolutionnaire qui avait justement permis en 1917 à la révolution démocratique bourgeoise de « transcroître » en révolution socialiste.
Si les révolutionnaires reconnaissent le droit des Palestiniens à avoir leur propre État, ils reconnaissent aussi aux Israéliens, qui constituent aujourd'hui de fait une nation vivant sur le territoire de Palestine, le droit à avoir leur propre existence nationale. En revanche, ils contestent l’État d’Israël, non seulement parce que c’est un État bourgeois, mais parce qu’il s’est constitué sur la base de la politique sioniste pro-impérialiste, en niant les droits des Palestiniens, en les chassant de leurs terres par centaines de milliers, en les parquant dans des camps, et, aujourd'hui encore, en les écrasant sous les bombes. Le mot d’ordre de « destruction de l’État d’Israël » ne peut pas pour autant être le leur, car les nationalistes qui l’avancent ne parlent évidemment pas de sa destruction par le prolétariat révolutionnaire, mais de sa destruction au profit d’un autre État. Au passage, il comporte pour eux une négation du droit des Israéliens d’aujourd'hui à continuer d’avoir, sous une forme ou sous une autre, leur propre existence nationale.
Les révolutionnaires militent d’abord et avant tout pour que les travailleurs prennent le pouvoir, en intégrant leur combat à celui du prolétariat mondial pour renverser l’impérialisme. Face au morcellement actuel issu de la colonisation et de ses séquelles, ils défendent l’idée d’une Fédération socialiste des peuples du Moyen-Orient. Celle-ci unifierait les peuples vivant aujourd'hui en Israël, dans les États voisins issus de l’ancien mandat britannique, la Cisjordanie, Gaza, les différentes parties de Jérusalem, et ceux issus de l’ancien mandat français. Il y a plus d’un siècle, ce type de problème se posait déjà aux marxistes révolutionnaires. La guerre de 1914-1918 mettait aux prises d’immenses empires (France, Royaume-Uni, Russie) et des puissances comme l’Allemagne, qui voulaient en redessiner les frontières à leur avantage, non seulement dans le partage colonial de l’Afrique et de l’Asie, mais aussi dans celui de l’Europe. « Pour le prolétariat européen, soulignait Trotsky, il ne s’agit pas de défendre la « patrie » nationaliste qui est le principal frein au progrès économique. Il s’agit de créer une patrie bien plus grande : les Républiques des Etats-Unis d'Europe, première étape sur la voie qui doit mener aux États-Unis du Monde. À l'impérialisme sans issue du capitalisme le prolétariat ne peut qu'opposer une organisation socialiste. Pour résoudre les problèmes insolubles posés par le capitalisme, le prolétariat doit employer ses méthodes : le grand changement social. »[4]
Aujourd'hui, un parti communiste révolutionnaire existant parmi les Palestiniens devra bien sûr prendre en compte le fort sentiment national des classes populaires, mais en intégrant ce qui est un sentiment d’oppression et de révolte contre l’oppression nationale et contre l’exploitation à la lutte de classe pour la transformation révolutionnaire de l’ensemble de la région. En Palestine comme ailleurs, la classe ouvrière et les masses pauvres ont des intérêts propres qui ne se résument pas à l’aspiration à une existence nationale.
Les guerres successives menées par Israël ont dispersé les Palestiniens dans toute la région, du Liban à la Jordanie, à la Syrie… Par le passé, cette situation leur a donné une audience particulière auprès de leurs frères de classe des différents pays concernés, en même temps qu’elle faisait des différents régimes arabes leurs ennemis mortels, comme l’illustra le massacre du Septembre noir de 1970, quand le royaume de Jordanie massacra des milliers de Palestiniens réfugiés sur son sol. Aujourd'hui encore, les manifestations de soutien au peuple palestinien mobilisent des centaines de milliers de personnes en Algérie, en Tunisie, au Yémen ou en Irak. L’Arabie saoudite qui, encore hier, négociait avec Israël dans le but de le reconnaitre, a dû faire machine arrière, fût-ce temporairement, en redoutant que la colère qui cible aujourd'hui l’impérialisme ne se tourne contre son régime de féodaux embourgeoisés.
Sur le fond, le Hamas aspire à diriger un État qui puisse jouer pleinement son rôle dans le concert des États du Moyen-Orient et qui ne soit pas seulement un État croupion et assiégé comme l’est actuellement Gaza. Il aspire en fait à être un digne représentant de la bourgeoisie palestinienne assurant sa domination sur les masses palestiniennes. Les révolutionnaires communistes aspirent au contraire à ce que les classes laborieuses palestiniennes, arabes, juives, etc., arrachent le pouvoir à la bourgeoisie et exercent leur domination de classe. Là où l’OLP et le Hamas insistent sur l’unité du peuple palestinien – derrière son drapeau, révéré par RP et le NPA – les révolutionnaires insistent sur les contradictions de classe, sur ce qui oppose les Palestiniens pauvres aux plus riches d’entre eux et qui peut les unir aux prolétaires et aux masses pauvres de toute la région.
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Le Hamas cherche donc en fait un compromis avec l’impérialisme et une reconnaissance de sa part, et cela même s’il parle de détruire « l’entité sioniste » d’Israël. Il défend les intérêts de la bourgeoisie et sa politique est aux antipodes des intérêts des Palestiniens opprimés, dont il craint la révolte. C’est au contraire de ceux-ci que les révolutionnaires doivent être solidaires dans la lutte contre l’impérialisme. Soutenir le Hamas par opportunisme, l’assimiler à la « résistance légitime » de tout un peuple, faire de la reconnaissance du sentiment d’oppression nationale palestinien un soutien à la politique nationaliste d’une organisation religieuse réactionnaire comme le Hamas, revient à abdiquer toute politique de classe.
18 novembre 2023
[1] Nos lecteurs savent sans doute qu’il existe depuis un an deux NPA : celui de Philippe Poutou et d’Olivier Besancenot, qui édite L’Anticapitaliste, dont nous discutons la politique dans cet article, et celui qui édite le mensuel Révolutionnaires, dont il n’est pas question ici.
[2] Voir par exemple, Lénine, « Thèses sur la question nationale », 1913.
[3] Philippe Alcoy, « Soutenir la résistance palestinienne est-ce soutenir la stratégie et les méthodes du Hamas ? », Révolution permanente, 11 octobre 2023.
[4] Léon Trotsky, « La guerre et l’Internationale », 31 octobre 1914.